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le koto à treize cordes, sorte de harpe qui donne les plus beaux sons de tout l’orchestre japonais.

A la musique se rattache la danse, qui nous rapproche des arts plastiques, car elle est avant tout la science du geste et de l’harmonie des mouvemens. Il en faut distinguer au Japon deux genres différens : les danses nobles et sacrées, qu’on ne voit qu’à la cour, dans les représentations de plus en plus rares des No, sortes de pantomimes hiératiques, — la danse populaire et profane, qu’on peut voir dans toutes les réjouissances, et que connaissent plus ou moins toutes les jeunes filles. La première, qui réclame l’accompagnement d’un orchestre sacré, est exécutée, sur un rhythme très lent, par des hommes et des femmes en costume de cour, coiffés d’un casque de forme spéciale, vêtus de longues robes flottantes ; elle consiste dans des gestes des bras et des flexions de la taille, dont l’ampleur semble encore s’accroître par celle des vêtemens et des sons qui l’accompagnent. Grave, majestueuse, élégante, elle a bien plus le caractère d’un rite célébré en grande pompe, conformément à son origine, que celui d’un amusement inventé pour le plaisir des yeux. Le spectateur le moins initié y pressent un sens religieux; il sait qu’il assiste à la représentation d’un mystère[1]. Tout autre est la danse profane, plus vive en ses allures, plus libre en ses poses, quoiqu’elle n’atteigne jamais ni la vivacité de mouvemens, ni la hardiesse de postures que nos danseuses déploient sur nos théâtres. Les robes longues et traînantes ne permettent ni sauts, ni pointes, ni écarts. Des attitudes gracieuses, des mouvemens modérés et comme timides, donnent un charme réel à cette chorégraphie expressive sans être violente. La danse japonaise est, comme le geste chez les Japonais bien élevés, sobre, concise et grave.

Comment concilier tant de mesure dans les attitudes de la mimique avec l’intempérance du rire, de la colère, des larmes, dans la statuaire et la peinture? Ce contraste est un trait saillant des mœurs locales. Élevés à l’école chinoise, les Japonais ont appris de leurs maîtres, déjà vieillis dans une civilisation raffinée, l’habitude de composer leur visage, de se faire un maintien grave et compassé; la pétulance, la brusquerie des manières, leur paraissent le comble de la grossièreté; leur politesse est surtout faite de froideur; ils ont un sentiment délicat de la bonne tenue, que déroutent singulièrement aujourd’hui le contact et l’imitation de nos mœurs de Yankees, mais qui ne les trompe jamais quand ils ne sortent pas de leur milieu d’éducation. S’ils s’inquiètent peu des libertés du pinceau et de l’ébauchoir, n’attachant pas comme nous à l’art l’idée

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1876, l’origine de ces mystères.