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Quoiqu’un peu souffrant, Genzaburo s’empresse de nous recevoir avec cette politesse démonstrative qui n’abandonne jamais ses compatriotes. Introduits dans son atelier bien propre, bien éclairé, bien rangé, nous pouvons passer en revue les ressources dont il dispose et les modèles ou les ébauches entassés dans de grands placards. Quant à l’attirail d’un aquarelliste, il est fort simple. Dans un petit coffret, quelques pains de couleurs végétales ou minérales, un peu de colle de poisson délayée pour les vernis, un bâton d’encre de Chine, plusieurs pinceaux semblables à ceux dont on se sert pour écrire, en crin gris, effilés du bout, jamais bien gros; quelques grandes soucoupes formant godets, une plus grande remplaçant la palette, une petite terrine d’eau, tout cela étalé par terre à droite du travailleur. Lui s’accroupit à terre allongé sur ses coudes et promène le pinceau sur la feuille de papier étalée devant lui. Il serait trop long et trop compliqué de s’établir sur un chevalet, et d’ailleurs la disposition verticale ne permettrait pas aux grands lavis de sécher convenablement sur le papier ou sur la soie.

Notre homme se met au travail, accoudé dans la position que je viens de dire. La main gauche emprisonne la main droite pour en arrêter le tremblement; le papier commence à se couvrir d’encre de Chine. Voici tout d’abord, en trois coups de pinceau, une forme noire, confuse, qui tout à l’heure représentera un rocher; de là s’élance une tige menue, surmontée d’une roue à jantes évasées; cette roue se transforme en chrysanthème, puis la tige se garnit de feuilles; il s’en détache d’autres fleurs; dans chacune on peut compter le nombre de coups de pinceau; un seul suffit quelquefois pour représenter la révolution d’une feuille tordue. Jetant par-ci par-là une vigueur sans jamais s’y reprendre à deux fois, pour finir le même trait, sans se donner un instant de repos ou de réflexion, l’artiste travaille avec la rapidité et la sûreté d’une mécanique.

Hélas! c’est en effet vers ce but trivial que tendent tous ses efforts. Le mérite consiste dans une très grande habileté de main et une très grande promptitude d’exécution. Pour gagner sa vie, il faut pouvoir en très peu de temps faire un très grand nombre de ces dessins à bon marché, petits kakémono, éventails, écrans, imagerie d’enfans, que la femme vend dans la boutique du rez-de-chaussée. On ne tombe pas tous les jours sur un amateur disposé à payer cher quelque grand travail sur soie. Alors du moins le peintre donnera-t-il carrière à son imagination? Pas davantage. Il fera comme celui-ci quand on lui demande un projet de kakémono. Il tirera d’un vieux coffret des modèles calqués avec soin sur d’anciennes peintures, et vous offrira de recopier sur soie, à votre choix, celui qui vous plaira le mieux. — Faites tout simplement mon portrait, disais-je