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soie gommée, c’est une décoration, et, à vrai dire, c’est comme procédé décoratif qu’il faut chez eux considérer la peinture, pour la juger selon ses mérites et ses prétentions. De l’homme, des grands ensembles, on n’essaie que d’éveiller l’idée dans l’esprit sans se flatter d’atteindre l’exactitude; mais quand il s’agit des fleurs, des oiseaux, ils déploient toute l’adresse de leur pinceau, toutes les ressources de leur palette pour en rendre la grâce et le coloris.

Un faisan posé sur une branche de cerisier, un paon magnifique perché sur un sapin, étalant sa queue au soleil, quelques fleurs groupées ensemble avec une exquise entente des couleurs, voilà les sujets sur lesquels ces artistes, qui sont avant tout des horticulteurs, aiment à déployer les merveilles de leur goût. Ils recherchent surtout l’association de certains animaux et de certains végétaux, fondée sur un penchant des uns pour les autres, vrai ou hypothétique, mais de tradition, et comportant un emblème poétique. La grue accompagne le pin, double symbole de longévité; le moineau est perché sur un bambou ; le lion de Corée et la pivoine sont accouplés comme gardiens des temples, la fouine et le saule pour la légèreté de leurs mouvemens ; le daim broute un érable, la chèvre un mûrier. Le renard associé au chrysanthème fait allusion à un vieux conte populaire, comme on en pourrait citer mille : un prince royal de l’Inde était hanté par le renard à neuf queues, l’un des plus redoutables, sous la forme d’une belle jeune fille dont il était tombé éperdument amoureux. Un jour, s’étant laissée tomber de sommeil sur un lit de chrysanthèmes, celle-ci y reprit tout à coup sa forme naturelle. Le prince, apercevant ce quadrupède, lui lança une flèche qui l’atteignit au front. Maître renard eut beau revenir sous son déguisement, le prince reconnut au front de sa maîtresse la blessure qui la dénonçait, et fut guéri de sa passion.

C’est surtout par la délicatesse de l’exécution et par l’heureux maniement de la couleur que se recommande le peintre japonais ; il en connaît par tradition la science précise; il a appris la loi des contrastes et celle des complémentaires; mais il n’entrevoit pas la poésie, l’émotion de la couleur telle qu’on la comprend devant certaines toiles du Titien : il applique mécaniquement les règles reçues, sans s’élever au-dessus du procédé technique. Tout du reste se réduit à une opération manuelle; ces tiges élégantes, ces pétales légers, jetés avec un apparent laisser-aller, sont exécutés d’après une multitude de modèles fixés d’avance, que chaque peintre possède dans sa tête. Jamais il n’a songé à considérer la nature pour l’imiter directement; il copie éternellement un gabarit déterminé une fois pour toutes. On nous permettra, pour en donner une idée, de pénétrer avec le lecteur dans un atelier japonais.