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les différentes phases de la culture du riz, l’histoire de trois fils pieux ; voici, tracés d’un pinceau moins sérieux, des pèlerins qui montent au Fusi-yama, ou bien un daïmio qui, trouvant un champignon poussé en une nuit dans son jardin, le montre avec stupeur à ses serviteurs ébahis; enfin, descendant encore, nous trouvons les sept dieux populaires se livrant dans la nue, ou sur un bateau en dérive, à la plus folle orgie, au milieu d’éclats de rire homériques. Des croquis jetés en quelques coups de pinceau à l’encre de Chine nous montrent un ronine, l’épée au poing, féroce, guettant son ennemi, et brusquement rappelé à la réalité par la pluie qui l’inonde, ou un lion chimérique portant un farouche samuraï. L’artiste, on le voit clairement, n’a fait aucun effort pour élever son sujet, pour chercher la vérité typique dans la vie réelle; il se tient pour satisfait s’il a rencontré la grimace exacte, rendu le geste, accentué l’intention, dût-il les pousser jusqu’à la caricature. Il cherche plus qu’il ne fuit le grotesque et s’attache avant tout à l’expression comique, non de chaque figure, mais de l’ensemble. On sent percer ici cette pointe d’ironie qui est le fond du caractère japonais et se retrouve dans toutes les œuvres de son esprit. Adorateurs de la nature et railleurs perpétuels de l’homme, ils n’excellent qu’à le ridiculiser avec un entrain, une hardiesse, un humour inimitables.

Si dans la représentation de l’homme et des grands animaux, tels que le cheval, le bœuf, le cerf, les Japonais pèchent par un dédain affecté de l’anatomie et du dessin, ils montrent en matière de paysage une ignorance plus complète encore des lois de la perspective et de la composition. Ils n’aboutissent dans leurs grandes machines, quand ils s’essaient aux vues d’ensemble, qu’à superposer maladroitement des montagnes sur le toit des maisons, comme autant de dessins séparés et collés dans le même cadre. Tout vient s’étager au premier plan, au lieu de fuir dans le lointain; bref, il n’y a place à aucune illusion optique. De plus il n’y a aucune unité dans leurs compositions. Les diverses masses, au lieu de se faire contre-poids, sont disséminées au hasard ou accumulées d’un côté, tandis que l’autre reste vide : l’œil n’est pas rappelé par une savante continuation des lignes à un point central vers lequel converge la scène; ce sont des séries de chemins, de ponts, de cascades, qui se succèdent de bas en haut, sans autre motif de s’arrêter que les limites matérielles de l’encadrement. Ils n’ont pas non plus la moindre notion du clair-obscur, des demi-teintes, du jeu des ombres et de leur poésie, du relief qu’elles peuvent donner aux objets. Scènes et paysages, ils peignent tout à teintes plates, comme on peint un vase : ce n’est pas un tableau qu’ils exécutent ainsi sur la