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la plus belle salle. Les sujets sont tous connus, et forment en quelque sorte l’illustration du grand livre de la mythologie nationale, que chacun sait par cœur.

A n’envisager tout d’abord la peinture qu’au point de vue du dessin, il faut y distinguer plusieurs genres qui se déterminent et par le choix du sujet et surtout par l’intention dans laquelle il est traité. Le premier est le genre héroïque : il représente des guerriers, des combattans, des chasseurs, tantôt à cheval, tantôt à pied, le plus souvent couverts de leurs armures, et se livrant, dans l’entraînement de la lutte, à d’épouvantables contorsions; ou bien des mikados et des impératrices, des nobles de la cour, des sen-nin ou saints hommes, des bonzes gravement assis dans une complète immobilité, quelquefois encadrés dans un fond d’or. La dimension de tous ces personnages dépasse rarement quelques décimètres, sauf dans les peintures sur bois qui décorent l’intérieur des temples d’Honganji et Honkokudji à Kioto; leurs gestes sont exagérés, leurs mouvemens violens, les attitudes contraintes et compassées; tout, jusqu’aux plis des vêtemens, affecte des contours anguleux et crus ; quant à la forme, il faut encore moins la chercher que dans la sculpture. On a grand’peine la plupart du temps, en examinant une composition tant soit peu compliquée, à distinguer de quel corps dépendent telle tête et tel bras. Le sentiment de la mesure et la notion du dessin manquent absolument à cet art outré dans ses allures et purement conventionnel, qui rappelle à un certain point de vue les décorations des tombeaux égyptiens. Ce n’est point par impéritie, ou par ignorance, c’est de parti-pris que le peintre nous représente ces têtes plantées de profil sur un corps vu de face, ces gestes mécaniques, ces poses raides et sans grâce, ces types qu’on n’a vus nulle part, tous identiques, particularisés seulement par leurs attributs. La figuration du corps humain n’est pas à ses yeux un but, mais un moyen; c’est un caractère hiéroglyphique agrandi, un signe conventionnel dont il se sert pour écrire un traité d’histoire. Dans ces compositions traitées avec un formalisme étroit, on ferait en vain effort pour assigner à chaque peintre un style particulier, c’est-à-dire une manière personnelle de voir et de rendre la nature, puisque ni les uns ni les autres ne s’en occupent, et qu’aucun n’a songé de sa vie à prendre un modèle. Il n’y a pas d’écoles diverses comme chez nous. Les maîtres ne se distinguent que par la délicatesse de leur faire.

A côté de ce genre héroïque, figé dans les formules, s’en place un plus familier qui, par des degrés continus, descend de la gravité d’une scène patriarcale à la représentation picaresque d’un mendiant en haillons ou d’un baladin sur son tréteau. Voici par exemple