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n’est pas la beauté des formes, ni celle des traits du visage. Nous tenons compte, cela va sans dire, des conditions du milieu. Placé parmi des Mongols, l’artiste ne peut concevoir qu’un type de beauté mongole; mais dans les traits même de sa race, il pourrait distinguer, choisir, et, cherchant dans les détails multiples de la réalité les accens de la vie générique, en constituer un exemplaire idéal de la beauté asiatique, comme l’Egypte en a fait une de la beauté couchite, car d’une race à l’autre l’étalon de la beauté peut changer, mais les lois du beau ne changent pas. Eh bien ! non, le Japonais ne fait pas le moindre effort pour voir et montrer le réel par son côté éternel et typique; on ne sent pas chez lui la recherche individuelle, le ressouvenir inquiet d’une beauté supérieure entrevue dans quelque autre monde et poursuivie dans celui-ci; aussi n’aborde-t-il jamais les difficultés du nu. C’est à peine s’il montre à découvert une moitié de torse, une jambe, un bras. Ce peuple, chez qui les deux sexes se baignent en public et en commun, ne sait ce que c’est qu’une nudité sculpturale. Il fait peu de cas de la forme humaine, et ne se met pas en peine de représenter en grand cette enveloppe éphémère d’une âme elle-même chétive et périssable, il ne l’adopte que comme un langage de convention pour représenter une légende, une tradition, un souvenir populaire.

C’est précisément cette absence de beauté qui rend choquante la répétition des mêmes sujets. D’où vient que depuis trois mille ans l’art européen représente des Vénus, des Minerves, des Achilles, des Thésées, sans qu’on se lasse de les admirer? C’est que, sous des noms divers, l’art s’efforce d’exprimer de beaux sentimens par de belles formes, et qu’à chaque nouvelle tentative on attend un nouveau progrès. Mais s’il ne s’agit que de reproduire un fac-simile d’une scène célèbre, un monument commémoratif d’une tradition connue, sans souci du but esthétique, le premier exemplaire nous semble piquant, le second nous ennuie, et le troisième n’est plus qu’un fastidieux radotage.

Encore une fois, par quelle secrète puissance réussissent-ils à nous plaire, ces magots difformes, ces vieillards émaciés, ces sages au front glabre, qui n’ont ni muscles, ni squelettes, ni grâce, ni proportions? C’est tout d’abord par l’intensité de leur expression, toujours claire, saisissable, évidente ; c’est parce que du premier coup l’œil le moins exercé saisit, à ne pouvoir s’y méprendre, l’intention belliqueuse, guerrière, résignée, réjouie, comique, qu’a voulu exprimer l’artiste. Cette intention, il ne la dit pas, il la crie, il la proclame, il la tympanise. Quand Michel-Ange veut exprimer la méditation, la mélancolie, et nous en offrir les caractères universels et dominans, il est obligé de modérer le geste, d’atténuer le mouvement, de peur de représenter non plus le Penseroso, mais