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religion sont irrémédiablement figés ; mais à l’inverse on ferait fausse route en cherchant dans ces traits augustes l’étalon du beau reçu au Japon ou du type national. Le Bouddha n’est pas en effet une création indigène ; il n’est pas sorti spontanément de la pensée de la nation, comme le Jupiter olympien ou la Minerve poliade. C’est une importation étrangère qui, jetée sur le sol en même temps que le bouddhisme, s’y est multipliée sans variante, sans addition originale, à mesure que le culte s’étendait. C’est donc à l’Inde, patrie du bouddhisme, qu’il en faut faire honneur. C’est surtout aux plis de la robe du Daï-buts qu’on peut reconnaître sûrement l’emprunt. On retrouve dans cette draperie le style ample et solennel dont le caractère adouci subsiste dans la procession des Panathénées. Partout cette figure s’est répandue avec le bouddhisme, dont elle est la personnification accomplie ; partout nous l’avons retrouvée identique ; au Japon, en Chine, à Java, à Ceylan. Toutes les races ont adopté et répété dévotement cet archétype qui symbolise admirablement leur foi. Le Bouddha, tel qu’il est représenté, n’est ni un homme ni un dieu, c’est l’essence vivante, c’est une conscience visible, c’est la grande âme de l’humanité abîmée dans la contemplation de l’absolu, et travaillant par une concentration prodigieuse de la pensée à saisir les lois de l’univers.

Comment réaliser par la statuaire une pensée aussi abstraite sans tomber dans la raideur inanimée ? Les beaux-arts s’exposent à des aveux d’impuissance lorsque, sortant de leur sphère, ils veulent rendre sensible aux yeux ce qu’il n’appartient qu’à la philosophie et au langage de présenter à l’esprit. La plastique n’a pas de formules pour l’absolu, elle ne vit pas de quintessence. Son rôle se borne à produire le beau d’une manière concrète, c’est-à-dire à créer des types en montrant dans la vie réelle les accens de la vie idéale. C’est ensuite affaire au spectateur de s’élever de la vue des belles œuvres à la notion générale et abstraite de la vérité et de la beauté. Laissez faire l’âme émue ; elle ne faillira pas à sa tâche. L’extrême Orient ne l’a pas compris ; à force de vouloir saturer ses figures d’expression, il en a fait des symboles froids et sans vie qui nous étonnent sans nous toucher, parce qu’ils nous sont étrangers. Aussi a-t-il dû, pour racheter ce mépris des formes, cette insouciance de l’anatomie, sculpter dans le granit ou couler en bronze des colosses imposans par leurs dimensions. La solennelle inertie de ces géans d’airain produit en nous l’impression du sublime, en arrêtant notre esprit sur des pensées de puissance éternelle et d’insondable rêverie. Ramenées à des proportions naturelles, ces statues perdent leur caractère et leur sens avec leur énormité. La plus célèbre au Japon, parce qu’elle est la plus grande, est le Daï-buts de Kamakura ; les réductions qu’on en rencontre partout ne sont