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voluptueux, oublieux du monde, un philosophe désabusé et résigné à l’inertie, abriter les méditations d’un ambitieux disgracié ou les délassemens d’un soldat entre deux campagnes; elles ne sauraient contenir l’âme impatiente d’un chercheur d’infini ; elles ne sont pas faites à la taille d’un peuple épris d’idéal.

Si nous résumons ces premiers aperçus, l’architecture du Japon nous présente donc la contre-partie des qualités que nous sommes habitués à admirer : le caractère spiritualiste, idéal, l’ordre, l’harmonie; elle nous révèle un naturalisme borné, une imitation parfois servile du monde extérieur, une copie souvent maladroite. Sans doute, avant de tirer de ces prémisses une conclusion relativement à la valeur morale de la race, il serait intéressant de suivre le développement historique de l’art, de rechercher dans quelle mesure l’influence considérable des Chinois, le climat pluvieux et orageux, la nature des matériaux, celle du sol volcanique, secoué par les forces intérieures, ont participé à cette médiocrité ; mais les documens font absolument défaut pour cette étude : aussi loin qu’on puisse remonter actuellement, c’est-à-dire à quelques siècles en arrière, on trouve les traditions déjà fixées et l’on ne découvre pas d’effort pour en sortir. Et qu’importe d’ailleurs une telle recherche? Saurons-nous jamais à quel degré exact le milieu ambiant peut gêner ou favoriser le développement d’un peuple? ce qu’une nation peut faire en vertu ou en dépit du soleil qui luit pour elle? Peut-être le ciel de l’Attique est-il pour autant que le génie du climat dans l’heureux choix des formes du Parthénon? Mais, sous un ciel plus sombre et plus inclément, Ictinus s’appelle Robert de Luzarches et construit la cathédrale d’Amiens. L’homme de grande race se renouvelle sans cesse de lui-même, et, puisant la conception du beau dans son propre fonds, en poursuit la réalisation à travers tous les milieux. Il n’est pas de la phalange d’élite, celui qui ne sait pas se redresser contre les obstacles et se diriger dans les ténèbres vers la perfection suprême.


III.

Si l’architecture nous aide à préciser les aspirations d’un peuple et les sentimens qu’il éprouve au spectacle du monde extérieur, la statuaire ne nous est pas d’un moindre secours pour démêler sa philosophie et l’idée qu’il se fait de la nature de l’homme et de sa destinée. Réduit pour tout langage à l’imitation presque exclusive de la figure humaine, le sculpteur ne peut déguiser l’aveu des pensées que lui inspire son modèle. L’artiste égyptien ne songe à lui emprunter que des formes symboliques et abstraites par lesquelles il exprimera les idées chères à sa race d’éternelle durée et d’impassibilité ;