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placés au-dessus de l’œil du visiteur. Je n’ai vu personne qui n’éprouvât en entrant une vague sensation de vide et d’instabilité. La plupart des pièces de l’appartement ne sont fermées que d’un seul côté par une cloison en torchis; sur les trois autres sont des cloisons de papier qu’on ôte ou remet à volonté. Il n’y a aucun autre moyen de chauffage que des chibatchi, brasiers portatifs, pleins de charbon de cerisier incandescent. Aussi rien n’est moins confortable que la maison japonaise, pendant les quatre mois d’un hiver assez rigoureux; rien de plus choquant, pour l’Européen habitué à dérober sa vie derrière d’épaisses murailles, que ces frêles paravens à travers lesquels on est tout à la fois espionné par les domestiques et gêné par leur tapage. Le seul ornement qui meuble un peu la nudité du yashki, c’est le tokonoma, petit réduit à deux compartimens placé contre l’unique mur solide, et comprenant d’une part un vaste panneau encadré dans la menuiserie où le maître accrochera sa peinture favorite, et de l’autre une étagère à trois planches disposées en gradins avec un placard dans la partie inférieure.

Un des détails les plus pittoresques du yashki, c’est la courbure gracieuse du petit auvent qui protège la porte. Tantôt en tuile, tantôt, dans les demeures les plus augustes, en yane-ita, lamelles de sapin superposées et semblables à un chaume bien émondé; ce fragment de toit vu de face affecte exactement la forme d’un arc et symbolise évidemment le temps héroïque où le guerrier suspendait son arc à la porte de sa tente en y rentrant. Comme le tori des temples, le mon-gamachi avertit l’étranger qu’il va paraître devant un grand de la terre.

Le yashki est toujours entouré de bâtimens accessoires qui lui font une enceinte continue : ce sont les nagaya, destinées à loger les gens d’escorte, les gens d’armes. Ces communs, sans style, s’étendant indéfiniment en longueur sur la rue, n’ont que de petites ouvertures fermées par un grillage de bois. Les murs en sont faits de pisé ou de torchis recouvert de tuiles noires posées sur champ en losanges. Les joints forment des diagonales croisées, dont le réseau saillant et papillotant, analogue au reticulatum des Romains, égaie un peu la solitude des rues officielles bordées de ces interminables murailles. De temps en temps, les filles et les femmes des domestiques montrent leur visage à la grille, et le touriste, toujours ami du merveilleux, s’empressait jadis d’écrire sur son carnet qu’il avait aperçu les princesses du harem japonais. Mais, hélas! aujourd’hui le touriste le plus entêté n’a plus lui-même d’illusions, les yaskhi tombent en ruines, sont transformés en ministères ou servent d’habitation aux Européens qu’emploie le gouvernement; on n’y voit plus ni hommes d’armes ni princesses, mais de simples et vulgaires portiers. Le rouleau destructeur de la civilisation européenne a déjà