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L’absence de vie publique entraîne celle d’une architecture civile. Il peut sans doute exister, et il existe en effet une science du bâtiment très complète, mais il ne saurait y avoir un art proprement dit là où les hommes ne songent à construire aucun monument d’un usage commun, où il ne s’agit que d’élever une boutique pour le marchand, un palais invisible aux mortels pour le prince et le souverain. Aussi l’architecte japonais n’est-il qu’un artisan, un maître charpentier, qui répète constamment, suivant des dimensions plus ou moins vastes, la même maison bourgeoise ou princière. Ici point de fantaisie personnelle, point d’effort vers l’originalité comme dans les villas de Rome et de l’Italie ou dans nos châteaux de la renaissance. Nul n’empreint de son individualité la façade de sa résidence. On ne s’écarte jamais d’un type uniforme; l’habitation, comme le costume, doit être réglée suivant le rang de l’habitant; le marchand enrichi ne doit pas se loger dans une demeure somptueuse; le daïmio ne saurait dormir sous un toit moins vaste que celui de ses pères. Il va sans dire qu’il n’est nullement question ici des bâtisses modernes que l’on voit s’élever aujourd’hui en quelques endroits, d’après des plans étrangers, et dans lesquelles nobles et roturiers rivalisent de mauvais goût.

A l’extérieur, le yashki japonais rappelle, avec plus de simplicité, les temples bouddhistes : même toiture, même plan général, même effet produit. A l’intérieur, les artifices de la structure sont moins dissimulés, et l’ouvrier ne cherche d’autres motifs de décoration que l’éloquence des assemblages ostensibles et leur évidente solidité. Dans un pays où il ne se passe pas de mois sans quelque secousse volcanique, c’est une condition essentielle du bien-être domestique que de sentir sur sa tête une charpente inébranlable dont les pièces solidaires se soutiendront mutuellement en cas de choc. Aussi se gardera-t-on bien de dissimuler les poteaux, les solives, les étrésillons, qui doivent rassurer l’œil; souvent même on s’abstiendra d’équarrir les arbres qui fournissent les piliers pour leur laisser toutes les apparences de la force. Tels sont les accens que s’efforce d’exprimer l’architecture et les seuls qu’elle réussisse à formuler. On est stupéfait, quand on pénètre dans le palais des shogun, dans celui des mikados à Kioto, de ne trouver dans ces demeures, où l’imagination se représente des lambris dorés et une somptuosité orientale, que de belles poutres de kiaki, de shenoki, de sapin, simplement rabotées et bronzées par le temps.

Il faut bien que la solidité se manifeste ainsi dans une pièce dont les murs sont formés de châssis mobiles glissant dans des coulisses. J’en eus un jour la démonstration personnelle. Un poteau se dressait au milieu du salon dans le yashki que j’habitais à Yeddo; je fis supprimer ce support encombrant qui fut remplacé par des arbalétriers