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Il ne copie pas la nature, il la refait, il la redresse, il la traduit et la dépasse, et s’il lui faut dans la réalité tangible un symbole et un modèle, c’est la symétrie du corps humain, c’est sa beauté triomphante et divinisée par le paganisme antique qui lui en tiendra lieu.

Tout à l’inverse, le naturalisme du Chinois et du Japonais se traduit par une admiration sans critique et sans restriction du spectacle merveilleux qu’offre la planète. Ils n’imaginent pas autre chose, ils ne rêvent pas mieux; ils n’essaient pas de réaliser dans leurs œuvres des lois idéales entrevues dans la conscience, et d’asservir les formes au joug supérieur de l’éternelle raison. Ils ne sont pas tourmentés du besoin de rétablir l’harmonie dans le chaos; l’imitation leur suffit, il n’y a pas pour eux une catégorie du beau, au-delà et en dehors des beautés visibles et palpables; le type ne se sépare pas du signe, ils voient Dieu dans la nature et point ailleurs. Où prendraient-ils du reste l’idée d’une harmonie, d’une symétrie suprême? Dans le spectacle de l’homme? de l’homme, chétive et périssable créature sans grandeur et sans mission, que l’univers écrase et résorbe à chaque heure ? Non, l’aspect de la campagne en fleurs, le tumulte imprévu et charmant des cascades tombant des montagnes, des vagues grondant au fond des criques, des torrens qui rongent leurs parois basaltiques, les contrastes et les caprices d’une végétation puissante, voilà les modèles qui s’imposent sans contrôle à leur imagination et inspirent leur art. Comment s’étonner que leur style rappelle ce gracieux et piquant désordre? Puis cette terre si belle est en même temps si hospitalière! On y peut, une partie de l’année, vivre sous la tente, comme les ancêtres mongols, dont l’habitation portative a donné sa forme aux huttes qu’on retrouve encore chez les Aïnos à Yézo. A quoi bon des clôtures pour qui vit si volontiers en plein air?

Tels sont les traits saillans de l’architecture au Japon, et les causes qu’on peut leur assigner; il faut maintenant entrer dans quelques détails touchant chaque genre particulier de monumens.


II.

L’architecture, considérée comme art, date da premier temple. Aux âges de foi, l’homme songe, avant d’orner sa demeure, à embellir celle de ses dieux. Des causes multiples, parmi lesquelles il faut mettre au premier rang le respect inviolable des ancêtres et le culte des mœurs primitives, ont engendré au Japon la simplicité et l’uniformité du style religieux. Il semble que le premier artiste, où, pour être plus exact, le premier maître chinois ait creusé une ornière d’où ses successeurs n’ont jamais pu sortir. Nulle part