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L’ART JAPONAIS

Partout où l’homme a laissé sa trace, on reconnaît son génie à ses œuvres. C’est avant tout dans les créations de l’art qu’il est aisé d’étudier l’histoire morale des nations. Manifestations spontanées de la faculté esthétique qui semble exister à des degrés divers jusqu’aux derniers échelons de l’humanité, les monumens d’un peuple civilisé nous disent plus éloquemment qu’aucun autre témoin, sous leur forme concrète et symbolique, quel était son idéal, comment il concevait la beauté, la vie, l’ordre universel des choses, de quels yeux il voyait la nature, l’homme, Dieu. La vue de l’Acropole en apprend plus long au voyageur sur la sérénité triomphante du panthéisme hellénique que toute la littérature de la Grèce, et quiconque a contemplé les ruines majestueuses de Thèbes peut, sans le secours des égyptologues, reconstituer par la pensée toute la philosophie du siècle des Ousortesen. Plus heureux encore est le curieux qui peut simultanément considérer un peuple dans ses œuvres et partager sa vie journalière, comparer ses actes avec ses productions et étudier le génie de ses maîtres dans le milieu même où il s’est développé. Le moment est venu de résumer les caractères de l’art japonais; il a atteint sa maturité et donné dès maintenant tout ce qu’il était susceptible de fournir. A des symptômes trop certains, on peut reconnaître que l’heure de la décadence est venue; comme l’Egypte, au contact de la Grèce, le Japon, mis en rapport avec l’Europe, n’a su, jusqu’à présent du moins, ni conserver intactes ses traditions classiques, ni les renouveler par une heureuse transfusion des élémens étrangers. On y constate les signes d’impuissance et les dépressions du goût qui caractérisent les basses époques. Tout un noble passé s’en va, toute une période brillante vient de se clore; n’est-il pas à propos d’en recueillir les vestiges et d’en fixer les traits? Tâche délicate, car il s’agit ici non-seulement de compléter pour nos lecteurs la connaissance qu’ils ont du Japon,