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sur la personne, la famille, l’éducation, le caractère de notre philosophe. Le curieux ouvrage de Frauenstædt, les Memorabilien déjà mentionné et la Biographie de Gwinner nous serviront de guides[1]


I.

Arthur Schopenhauer naquit à Dantzig d’une riche famille de négocians, ancienne et considérée dans cette ville. Son père, Floris Schopenhauer, paraît n’avoir pas été un homme ordinaire. C’était un caractère ardent, impétueux, remarquable, nous dit-on, par une force de volonté qui allait jusqu’à l’obstination. Patricien et aristocrate, il était animé de l’attachement le plus vif pour le droit et pour la liberté, et par là il mérita la confiance et l’amour de ses concitoyens. Il était instruit et versé surtout dans la littérature française et anglaise. Il lisait tous nos auteurs, avec une prédilection particulière pour Voltaire. Il était plein d’admiration pour la vie politique de l’Angleterre et nourrit quelque temps le projet de s’y fixer. Les gazettes anglaises étaient ses lectures familières, et il ne passait pas un jour sans lire le Times, habitude qu’il transmit plus tard à son fils. Le principal trait de son caractère était une cordialité pleine de franchise et de liberté. Cet homme éclairé, mais plus remarquable encore par le caractère que par l’esprit, paraît avoir exercé une assez grande influence sur le jeune Arthur, notre philosophe, qui a toujours conservé de lui le souvenir le plus tendre, fait que l’on signalerait à peine si l’on n’avait eu occasion, comme nous le verrons, de lui reprocher au contraire son insensibilité à l’égard de sa mère. Ce qui est certain, c’est qu’on a trouvé dans ses papiers une dédicace à la mémoire de son père, où il exprime avec énergie sa reconnaissance pour l’éducation forte et libre qu’il avait reçue de lui : « Noble et généreux esprit, lui dit-il, c’est à toi que je dois tout ce que je suis... C’est à toi que ton fils doit d’avoir appris à penser ce que disait ton maître Voltaire : Nous n’avons que deux jours à vivre, il ne vaut pas la peine de les passer à ramper devant des coquins méprisables. »

  1. Le premier critique à notre connaissance qui ait parlé en France de Schopenhauer est M. Saint-René Taillandier dans une étude sur l’Allemagne littéraire (Revue du 1er août 1856). Depuis, M. Challemel-Lacour a consacré à la personne et à la philosophie de Schopenhauer, qu’il avait pu voir lui-même, un très intéressant travail dans la Revue du 15 mars 1870. Citons enfin l’excellent petit volume de M. Th. Ribot sur la Philosophie de Schopenhauer (1874), qui contient une exposition succincte, mais très nette, de la doctrine de notre auteur. En 1862, M. Foucher de Careil avait déjà publié un livre curieux sur Hegel et Schopenhauer. — Le seul ouvrage traduit de Schopenhauer est l’Essai sur le libre arbitre (Paris 1877).