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préparés. C’est aussi à l’abri du même subterfuge, c’est pour empêcher les Prussiens de s’emparer des canons de la garde nationale, que le comité central se saisit des pièces d’artillerie, les fit hisser à Belleville, à Montmartre, refusa de les restituer à l’état, longtemps après l’évacuation de Paris par les Allemands, et engagea ainsi une lutte qui ne se termina que le 28 mai, au milieu des ruines et des massacres.

Le comité central intervient officiellement pour la première fois dans la nuit du 26 au 27 février en faisant donner des ordres, qui furent exécutés, aux officiers de la garde nationale de service au VIe secteur ; mais il n’avait pas attendu si longtemps pour faire preuve de force et affirmer son action. C’est lui qui, par ses délégués, organisa les tumultueuses manifestations qui défilaient sur les boulevards, se rassemblaient place de la Bastille et circulaient en chantant autour de la colonne de Juillet. Là les gardes nationaux, qui déjà s’appelaient volontiers « les fédérés, » et les soldats débandés fraternisaient, échangeaient des bouquets d’immortelles rouges et saluaient de leurs acclamations confondues la loque couleur de sang qu’un marin fichait dans la main du génie de la liberté. Un fait horrible et qui paraîtrait impossible dans une nation civilisée, si l’on ne savait que les religions, les philosophies et la morale sont impuissantes à tuer complètement la bestialité qui subsiste dans l’homme, un fait monstrueux vint prouver tout à coup aux moins clairvoyans à quel degré de sauvagerie la partie véreuse de la population parisienne en était parvenue. Le 26 février, la foule s’entassait sur la place de la Bastille, très animée, très bruyante, vociférant, et, arrivée, par le seul fait de l’agglomération, à un état nerveux indescriptible. Un ancien inspecteur de police, nommé Vincenzini, fut reconnu et désigné ; frappé au visage, insulté, il prit la fuite et parvint à se réfugier dans un débit de tabac de la rue Saint-Antoine ; il en fut arraché par des soldats réguliers appartenant aux 21e et 23e bataillons de chasseurs à pied, bataillons rapidement formés pendant le siège à l’aide d’élémens militaires fort douteux ramassés dans Paris. Vincenzini fut traîné jusqu’au poste, où l’officier le fit mettre en lieu sûr et ordonna de fermer les grilles. La foule, ameutée, exaspérée sans motifs apparens, se rua sur le poste, dont le chef tint bon et refusa énergiquement de livrer son prisonnier. Celui-ci fut héroïque ; il dit au chef du poste : « Vous vous feriez massacrer inutilement, vous et vos hommes, » et, ouvrant la grille, il se livra à la populace. Pendant deux heures, il fut promené autour du piédestal de la colonne, et si cruellement frappé que son visage n’eut bientôt plus forme humaine. On essaya de le pendre, et l’on n’y parvint pas. On le conduisit au bord de l’eau, on lui lia les pieds et les mains, on l’attacha sur une planche et on le