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de l’Espagne. Les difficultés persistent, les embarras renaissent, et s’ils sont moins apparens, ils ne sont guère moins réels. Le pays, ébranlé par tant de secousses, n’a point dans sa stabilité une entière confiance, l’avenir reste incertain, parce que le changement accompli dans le pouvoir n’a point changé la nation elle-même. Le levain révolutionnaire fermente sourdement au lieu de bouillonner à la surface. Les partis vaincus ne désespèrent point, ne désarment point; pour enlever aux amis de l’ordre nouveau toute inquiétude, et aux adversaires tout courage, il faudrait des années de bon gouvernement. L’apaisement social ou politique d’un grand pays est une œuvre de longue haleine, toujours à recommencer, jamais achevée.

Maintes personnes regardent une restauration comme une fin, un dénoûment. Il en est plutôt de la monarchie comme du mariage, qui dans les romans clôt souvent le récit et dans l’existence réelle n’est d’ordinaire qu’un début. Chaque mode de gouvernement, chaque régime a ses difficultés, toute restauration a les siennes. La plus grande est, en ramenant une dynastie, de ne point ramener tout l’ordre de choses renversé avec elle. Une restauration ne peut être une simple reconstruction du régime abattu par la révolution, une simple ventrée en scène des partis et des hommes expulsés du pouvoir. Un régime politique n’est point une colonne de bronze coulée d’un seul jet ou un monolithe fait d’un seul morceau, que l’on redresse d’un coup, et qui pour se tenir debout n’a qu’à être remis sur son piédestal. La prétention de ressusciter le passé est le grand péril de toute restauration monarchique ou républicaine, car la république peut aussi avoir ses restaurations. Il est malaisé de relever un gouvernement sans l’entourer des hommes ou des partis dont les fautes en avaient provoqué la chute. La difficulté semble plus grande encore avec un jeune prince à peine sorti de l’adolescence, avec un souverain sans expérience, qui semble ne pouvoir avoir d’autres conseillers que les ministres de son prédécesseur.

En Espagne, la monarchie restaurée a dans ses débuts au moins sagement évité cet écueil. Le règne du fils s’est présenté comme un règne nouveau et non comme une simple reprise du règne interrompu de la mère. Le ministre auquel le jeune roi a confié la présidence du conseil est demeuré étranger à la direction des affaires sous la reine déchue. Les portes du palais d’Alphonse XII se sont ouvertes à des hommes qui avaient pris une part directe au renversement d’Isabelle II. La restauration espagnole n’a pas voulu n’être que le rapatriement dans leurs places des fonctionnaires dépossédés de leur emploi. Le roi veut être autre chose que le chef officiel d’un