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REVUE DES DEUX MONDES.

Choiseul, l’entourage brillant de Mme de Pompadour et les courtisans de la Dubarry ont contribué à faire un assez maussade renom à la petite cour de Bellevue, évidemment un peu austère et triste, où régnait une dévotion qui faisait contraste avec les mœurs du jour. Ces disparates sont bien saisis et mis en relief dans les pages dédiées par M. Emmanuel de Broglie à la mémoire d’un prince qui annonçait beaucoup de goût et quelque aptitude pour la vie militaire, dont son père se montra jaloux de son vivant, comme Louis XIV l’avait été du grand dauphin. Cependant les traits de cette figure historique n’ont guère été conservés pour la postérité que par le ciseau de Coustou dans le monument fort beau, mais trop déclamatoire, élevé sous les voûtes de la cathédrale de Sens. — Il valait la peine de nous tracer une esquisse plus simple et plus familière de ce jeune ménage royal si exemplaire, placé si près du trône, si retiré sur lui-même, qui vivait volontairement à l’ombre, dans une solitude soigneusement recherchée, non loin des splendeurs de Versailles et des divertissemens de Choisy. C’est comme un joli tableau d’intérieur, faisant pendant par ses teintes adoucies aux toiles plus colorées de Vanloo. M. Emmanuel de Broglie l’a très bien réussi. Un peu de mélancolie semble avoir passé de l’âme du prince, ainsi enlevé dans la fleur de son âge, à celle de l’écrivain qui nous en reproduit la touchante image. « Il ne désirait plus vivre, dit-il en racontant les derniers momens du dauphin : l’ennui, le sentiment de son inutilité, avaient sourdement miné ses forces. Avoir eu tant d’envie de bien faire et n’avoir rien fait, c’était la vraie source de son mal. On meurt rarement de chagrin, mais l’état de l’âme peut exercer une influence sensible sur le corps, et enlever la force de résister à un mal qu’un ardent désir de vivre vaincrait peut-être. Le dauphin ne voulait plus vivre; Il mourut de chagrin de voir l’état penché vers sa ruine sans pouvoir même se consacrer à essayer d’arrêter le mal. » Le lecteur trouvera des détails historiques curieux, de la bonne grâce et de l’agrément sérieux dans ce petit volume.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.