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Saint-Pétersbourg aussi bien qu’avec l’Allemagne. Sa diplomatie est obligée de tenir compte de tout, de la diversité des races dans l’intérieur de l’empire comme de la situation générale du continent. Elle aussi, elle se réserve, ne pouvant ni se soustraire entièrement à l’influence des relations d’amitié qui la lient depuis quelques années à la Russie, ni accepter d’avance une abstention systématique ou des coopérations dangereuses. Le comte Andrassy joue habilement cette difficile partie. L’Autriche attend, elle observe ; plus que toute autre puissance, elle est intéressée à limiter, à localiser la crise qui vient de s’ouvrir. Qui ne voit cependant qu’il y a un jour possible où des incidens plus ou moins inattendus, soit en Serbie, soit dans les autres provinces turques, soit sur le Bas-Danube, peuvent ne plus lui laisser la liberté de l’inaction et de son savant recueillement ? De quel côté ce jour-là l’Autriche se tournera-t-elle ? sous quelle forme se manifestera son action ? Il y a, dit-on, à Vienne des influences puissantes qui la pressent de s’allier entièrement à la Russie, d’accepter les offres de coopération que le cabinet de Saint-Pétersbourg lui a déjà faites l’automne dernier par la mission Soumarokof. Ces offres, plus spécieuses que solides, pleines de périls, fécondes peut-être en conséquences redoutables, l’Autriche les a déjà déclinées, elle les déclinerait sans doute encore. Elle peut d’autant moins les accepter que les Hongrois, prépondérans aujourd’hui dans l’empire, ne se prêteraient certainement pas à une coopération ou à une intervention qui servirait la Russie, et qui, dût-elle trouver son prix, n’aurait d’autre résultat que d’accroître les élémens slaves dans la monarchie austro-hongroise. Ce que l’Autriche fera, le comte Andrassy ne le sait pas lui-même peut-être encore. Si elle était appelée à prendre un parti, elle se maintiendrait vraisemblablement dans un rôle indépendant, ni turc ni russe, tout autrichien ; elle jouerait dans des temps nouveaux, dans la mesure des circonstances, son rôle européen, traditionnel, de pacification, de préservation et d’équilibre. Pour l’Orient, le comte Andrassy ne semble pas avoir déserté son programme de statu quo amélioré ; dût-il y ajouter quelque supplément, il en poursuivra autant que possible l’application. Ce sera plus sûr pour la monarchie austro-hongroise que d’entrer dans des combinaisons où des annexions précaires, incohérentes, entraîneraient peut-être des soustractions irréparables.

L’Italie, à son tour, comme l’Autriche, ne semble nullement disposée à se départir d’une attitude de modération attentive, circonspecte et prévoyante. Le ministre des affaires étrangères de Rome, M. Melegari, et le président du conseil, M. Depretis, interpellés par M. Viscoali-Venosta, ont eu l’occasion de le déclarer dans le parlement : l’Italie entre dans cette crise libre d’engagemens, résolue à éviter les aventures et à exercer une influence pacificatrice, ayant un sentiment très vif de ses intérêts qui se confondent en Orient comme partout avec les intérêts