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La guerre n’avait paru à ces gens sans patriotisme qu’un prétexte à usurpation violente du pouvoir. « Juillet 1870, dit M. Lissagaray[1], surprit le parti révolutionnaire dans sa période chaotique, empêtré des fruits-secs de la bourgeoisie, de conspirailleurs et de vieilles goules romantiques. » La révolution du 4 septembre n’épura guère ce personnel, mais y adjoignit les orateurs des réunions publiques et les affiliés de la société sans patrie, de l’Internationale. Très peu de jours après l’installation du gouvernement de la défense nationale, l’action d’une sorte de gouvernement occulte se faisait sentir dans Paris : de prétendus conseils de famille, faisant rôle de comités de vigilance, entravaient les ordres de l’autorité, dirigeaient les élections, cherchaient à dominer dans les secteurs et formaient le groupe d’où le comité central devait sortir en février 1871. Ce pouvoir habilement dissimulé, mais déjà très fort, ne tendait à rien moins qu’à se substituer au pouvoir accepté ; celui-ci s’avisa, un peu tard, qu’il était le maître, qu’il ne devait pas se laisser contrecarrer, et, par décret du 10 décembre 1870, il prononça la dissolution « des comités de délégués établis dans les compagnies et bataillons de la garde nationale, » et réorganisa les anciens conseils de famille. Sans se disperser, les groupes s’abstinrent de toute ingérence trop directe et attendirent une occasion propice pour reprendre l’œuvre qu’ils poursuivaient ; cette occasion naquit de la force même des choses, après la capitulation de Paris.

Les hostilités étaient suspendues, tous nos forts se trouvaient en puissance de l’ennemi, les préliminaires de la paix n’avaient point encore été ratifiés, on se trouvait entre un gouvernement qui n’était plus et un gouvernement qui n’était pas encore ; les administrations, hésitantes, ne sachant trop à qui obéir, n’osaient prendre aucun parti dans aucune circonstance ; la désagrégation était générale et l’indécision permanente ; le vaisseau qui symbolise Paris flottait à tous les vents, sans gouvernail, sans boussole et sans but. La ville était lamentable à voir : fantassins, cavaliers démontés, marins, francs-tireurs de toute nuance, volontaires de toute couleur, gardes nationaux, gardes mobiles, vaquaient par les rues, les mains dans les poches, ou le fusil en bandoulière, oisifs, démoralisés par l’ivresse, la défaite et l’inaction. D’après les conventions imposées par l’Allemagne, quelques milliers d’hommes de l’armée régulière avaient été autorisés à conserver leurs armes ; ceux-là on les choyait. Un mot d’ordre venu de haut et promptement répandu parmi les gardes nationaux de Belleville, de Montmartre, de l’avenue d’Italie, avait fait comprendre qu’il fallait jouer au camarade

  1. Histoire de la commune, Bruxelles 1876, p. 17.