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plus désirables, d’assurer aux populations chrétiennes de l’empire ottoman des conditions meilleures, sans aller toutefois jusqu’aux interventions et aux occupations armées. C’est la conférence de Constantinople, le troisième acte du drame diplomatique de ces dernières années.

A quoi sert-elle cependant, cette conférence invoquée comme la ressource suprême de la paix? Elle n’est à tout prendre qu’un grand malentendu. La plupart des puissances n’ont évidemment d’autre pensée que d’empêcher la guerre en désintéressant la Russie par les plus amples concessions, en s’efforçant de la retenir dans la sphère d’une action européenne toute morale, assez fortement organisée pour peser sur la Porte-Ottomane; la Russie n’a visiblement d’autre préoccupation que d’entraîner l’Europe à sa suite, de l’amener à préciser des conditions, qu’elle se réserve, quant à elle, le droit d’interpréter et d’imposer, fût-ce par les armes. Le malentendu est sensible, il va éclater d’une manière frappante, et c’est ainsi que se déroule cette campagne diplomatique à travers les réunions des trois empereurs, les délibérations européennes la note Andrassy, le mémorandum de Berlin, la mission Soumarokof, les négociations de Livadia, la conférence de Constantinople, le voyage du général Ignatief, jusqu’à ce protocole du 31 mars d’où se dégage la pensée persévérante d’intervention militaire, qui n’a cessé d’animer la Russie et qui a rendu tout impossible.

Assurément, nous ne dirons pas le contraire, les Turcs n’ont rien fait pour détourner la crise qui les menaçait et ils ont tout fait pour la rendre plus périlleuse. Si un instant ils ont déployé contre les Serbes une vitalité militaire dont ils ont grand besoin aujourd’hui contre les Russes, s’ils ont montré jusqu’au bout dans leur diplomatie une dextérité et une conviction dignes d’une meilleure cause, si en un mot ils ont soutenu cette campagne de deux ans sans trop d’inégalité, ils n’ont pas su même s’assurer les avantages de leur position. Après avoir épuisé le discrédit sous toutes les formes, ils n’ont pas eu la prudence ou l’habileté de se concilier des appuis par des satisfactions opportunes. Ils n’ont pas compris qu’au lieu de pallier des excès qui les compromettent et de chercher un abri contre toutes les réclamations dans des profusions de réformes auxquelles on ne croit pas encore, ils étaient les premiers intéressés à désarmer l’Europe par des concessions précises, pratiques, dont la plupart des cabinets leur auraient su gré. Ils ont mis un fatalisme orgueilleux à tenir en échec la diplomatie, à éluder des propositions, à décliner tous les conseils, même quand ces conseils venaient de ceux qui ont plus d’une fois défendu leur indépendance, et ils se sont exposés à rester seuls dans une lutte terrible qu’il n’y a plus eu aucun moyen de prévenir.

C’est leur faute, ils peuvent l’expier cruellement ; mais si les Turcs ont leur part de responsabilité dans des événemens qui ne les menacent pas seuls, qui peuvent menacer l’Europe entière, il n’est point douteux