Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
REVUE. — CHRONIQUE.

eux, ce qui est déjà un commencement de complication par l’importance qu’une telle réunion donne aux mouvemens insurrectionnels et par le caractère à demi énigmatique de cette action particulière organisée en dehors des autres puissances. De cette délibération sort à la fin de 1875 la note Andrassy, une note mesurée, prudente, énumérant les réformes, les garanties qu’on pourrait demandera la Turquie, et communiquée au reste de l’Europe, qui l’accepte sans y mettre aucune susceptibilité. La note Andrassy a malheureusement le sort de toutes les œuvres modérées : elle ne résout rien, elle échoue devant les exigences des insurgés encore plus que devant les mauvais vouloirs de la Porte. C’est le premier acte diplomatique. Bientôt, en mai 1876, éclate pour ainsi dire le mémorandum de Berlin, programme nouveau, plus accentué, plus étendu que la note Andrassy et laissant déjà percer la menace « d’ajouter à l’action diplomatique la sanction d’une entente en vue de mesures efficaces. » Le mémorandum de Berlin, préparé par la Russie, accepté avec plus ou moins d’empressement ou, si l’on veut, avec plus ou moins de réserve par l’Autriche et par l’Allemagne elle-même, est arrêté net par le veto de l’Angleterre; il n’a d’autre résultat que de faire sentir le danger des délibérations particulières et de ramener la question sous la juridiction collective de l’Europe. La Russie n’insiste plus pour le moment. C’est le second acte.

Sur ces entrefaites, tout s’aggrave par les révolutions de Constantinople, par la prise d’armes de la Serbie, du Monténégro, qui se jettent dans la mêlée, et malheureusement aussi par les désordres croissans dans les provinces turques, par ces massacres de la Bulgarie qui deviennent un grief de plus pour la Russie, pour l’Europe civilisée. Un instant, durant cet été de 1876, la Turquie, violemment assaillie, tient tête aux difficultés, et elle est même assez heureuse pour réduire les Serbes aidés par les volontaires russes, pour reconquérir une sorte de prestige des armes; elle s’est ouvert le chemin de Belgrade. Aussitôt la Russie entre en scène comme pour relever le drapeau de la cause vaincue avec les Serbes. Jusque-là, spectatrice passionnée, mais immobile, de la lutte engagée sur la Morava, elle s’est bornée à laisser partir des milliers de volontaires pour la Serbie; maintenant elle réunit pour son propre compte une armée puissante sur le Pruth. Reprenant le programme de Berlin, elle presse l’Autriche d’entrer de son côté en Bosnie, en Herzégovine, pendant qu’elle entrera elle-même en Bulgarie, toujours sans doute au nom de la politique des « mesures efficaces ; » elle signifie des ultimatums à Constantinople ! D’une heure à l’autre, la guerre entre la Russie et la Turquie peut éclater dès cet automne de 1876, lorsque le cabinet de Londres obtient un dernier répit. L’Angleterre, à son tour, a son programme, elle prépare la réunion d’une conférence européenne où l’on pourra examiner en commun les moyens de pacifier l’Orient, d’obtenir de la Turquie les réformes, les garanties les