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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 avril 1877.

C’est donc décidé, fatalement décidé, tout aura été inutile. Vainement les empereurs, les chanceliers, les ministres, les diplomates, tous les sages ou ceux qui passent pour sages, auront pendant deux ans mis en commun leur habileté, leur prudence, sans doute aussi leur esprit de conciliation, dans une suite de négociations, de mémorandums et de protocoles : voilà le résultat! L’outre aux tempêtes est rouverte en Orient.

Dût cela ressembler à de l’ingénuité, on nous permettra de dire qu’il y a peu d’aventures plus humiliantes pour la diplomatie. Quoi! six grands gouvernemens qui représentent l’Europe s’agitent depuis deux années autour d’une question qui touche sans doute aux points les plus vifs, les plus délicats de la politique, mais qui avant tout est une question d’humanité et de civilisation. Ils sont ou du moins ils paraissent d’accord sur la nécessité de chercher ensemble un moyen de tempérer la crise orientale en préservant dans tous les cas la sécurité de l’Occident. Ils n’ont que des vues désintéressées, ils ne cessent de le répéter, ils désavouent toute intention, toute arrière-pensée de politique particulière; leur unique objet est la paix! Ils peuvent ce qu’ils veulent, cela n’est point douteux, — et, par une fortune ironique, ces grands gouvernemens, si attachés à la paix, si prodigues de déclarations de bonne intelligence, n’arrivent qu’a constater devant le monde qu’ils se sont livrés à un effort stérile, qu’ils ne se sont même peut-être jamais entendus. Ils n’ont fait qu’ouvrir le chemin où l’une des puissances engagées, la Russie, plus impatiente que les autres, vient de se précipiter, sans se demander si elle est suivie, ce que peut enfanter de conséquences imprévues cette décision redoutable. C’est la triste réalité aujourd’hui ; elle éclate heure par heure dans cette série d’actes qui se succèdent depuis le malheureux et inutile protocole de Londres. L’empereur Alexandre II s’est rendu au camp de Kichenef, où il est allé passer une dernière fois la revue de ses soldats et d’où il a voulu dater