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avait soin d’annoncer dans une déclaration annexe que, si le protocole ne réussissait pas à maintenir la paix entre la Russie et la Turquie, le protocole était nul et non avenu, comme si, par sa seule rédaction et sans aucune sanction, cet instrument diplomatique eût eu la vertu de mettre fin aux complications de l’Orient.

Le rôle prédominant joué par l’Angleterre dans les dernières négociations n’a eu d’autre effet que de remplir l’intermède entre la dernière guerre serbe et la prochaine guerre russe, et de donner au tsar et au sultan le loisir de s’équiper pour rentrer en scène les armes à la main. Si la Grande-Bretagne s’est contentée de prêcher la paix sans oser se faire obéir, ce n’est point que la vieille Angleterre soit incapable d’action ou de résolution, elle dispose de puissantes ressources et saurait bien le montrer au besoin; c’est que le gouvernement légal et la majorité parlementaire ne se sentaient point en parfait accord avec la véritable souveraine des trois royaumes, avec l’opinion populaire, reine souvent indécise et capricieuse. Le malheur de l’Europe est qu’entre le ministère tory et l’opposition libérale, entre M. Disraeli et M. Gladstone, entre les vieilles défiances britanniques pour la politique russe et les nouvelles répugnances des Anglais pour la barbarie turque, la nation et le gouvernement, tirés en deux sens contraires, n’osant ou ne pouvant céder à leur penchant, sont demeurés paralysés et impuissans. Les conseils de l’Angleterre ont par là perdu toute autorité sur la Porte, qui savait ne rien avoir à redouter d’elle, et comptait de sa part sur un changement de langage et de politique. A la conférence de Constantinople, la Grande-Bretagne avait deux représentans : l’un, l’ambassadeur extraordinaire, qui parlait beaucoup et s’évertuait avec le zèle le plus sincère à faire accepter de la Porte le programme de l’Europe; l’autre, l’ambassadeur ordinaire, qui disait peu de chose et laissait voir peu de confiance dans le succès de la conférence. Pour la Turquie, c’est ce dernier qui est toujours resté le vrai représentant des sentimens anglais et des vues du cabinet de Londres. On raconte qu’avant la guerre de Crimée un ambassadeur avait été chargé par son gouvernement de conseiller à la Porte d’accueillir le mémorandum de Vienne dont les clauses étaient assez analogues aux demandes de la dernière conférence. Le diplomate se rendit en uniforme auprès du grand-vizir, lui donna l’avis prescrit par son gouvernement; puis, sortant de la salle, il quitta son uniforme, remit sa redingote et, rentrant dans le cabinet du grand-vizir, lui donna comme particulier le conseil de repousser le mémorandum qu’il venait de lui recommander comme ambassadeur. L’anecdote peut n’être point exacte, elle n’en peint pas moins l’attitude de certains diplomates à Constantinople, et explique l’incrédulité endurcie des ministres turcs vis-à-vis des