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LES PRÉLIMINAIRES
DE
LA GUERRE TURCO-RUSSE[1]


I.

Les troupes russes ont franchi le Pruth, les Turcs se concentrent sur le Danube : la guerre a surpris l’Europe au moment où l’Europe croyait toute chance de guerre écartée. Voilà où, après dix-huit mois de négociations, aboutit l’insurrection d’une obscure province dont le vulgaire ignorait jusqu’au nom. Jamais peut-être aussi vaste incendie n’aura été allumé par une aussi faible étincelle; jamais la diplomatie, avec son imposant appareil et sa vaine activité, ne se sera montrée aussi incapable d’éteindre ou d’étouffer le feu de la guerre. Ce n’est point le temps qui lui aura manqué; il y a bientôt deux ans qu’a éclaté la petite insurrection herzégovinienne, et pendant ce long sursis la diplomatie n’est point demeurée oisive. Les premiers à se mettre à l’œuvre ont été les trois empires et les trois chanceliers érigés en une sorte de triumvirat international ou de directoire des affaires européennes, qui s’était donné pour fonction de maintenir la paix et le statu quo territorial. Les empereurs ont eu des entrevues et les chanceliers des conférences, le comte Andrassy et le prince Gortchakof ont successivement rédigé des mémorandums solennellement annoncés à l’Europe et l’un après l’autre éconduits par la Turquie ou abandonnés de leurs auteurs. Au concert

  1. Bien que la Revue ne partage pas entièrement les appréciations de l’auteur de cette étude, nous n’avons pas moins cru devoir lui laisser toute liberté de parole; la grande connaissance qu’il a de la Turquie et de la Russie lui donnant le droit de juger la question à un point de vue plus personnel.