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devint chrétien et désira que Godwin fût instruit de son retour à la foi de l’Évangile. Il y en avait d’autres qui, tout en le proclamant leur maître, lui apportaient un cœur où la désolation le disputait à l’enthousiasme.

Telle fut lady Caroline Lamb, l’amie de Byron, qui lui écrivait : « A partir de ce jour, je veux essayer de vaincre ma violence et toutes mes passions; mais vous êtes destiné à devenir mon maître. Voici seulement ce qui calme mon ardeur : pour quoi et pour qui tâcherais-je de devenir sage? quel est le but de la vie? quand nous mourons, quelle différence y a-t-il entre un grillon et moi? Oh! si je pouvais, avec les sentimens qui sont maintenant les miens et sans un seul motif d’ambition ou de vanité, si je pouvais enfin me dire que je suis dans la voie de la vérité, me dire que je suis utile aux autres... La seule prière que je répète jamais avec celle du pécheur, et la seule biographie que ma main laissera jamais de moi, c’est que j’ai fait ce que je n’aurais pas dû, et que je n’ai pas fait ce que j’aurais dû. » Que pouvait répondre le directeur de conscience à ce douloureux appel? Contre le mal qui dévorait cette âme désespérée, sa sagesse ni sa « religion » n’avaient de remède. Il n’avait que le stoïcisme à proposer, et ce stoïcisme il le prêchait d’exemple. On ne saurait, en effet, refuser une certaine grandeur aux derniers jours de cette longue vie. Sans cesse harassé par les soucis d’argent et les troubles domestiques, il ne paraît pas que Godwin se soit jamais découragé. San énergie littéraire fut indomptable, et ce serait faire une longue liste que de nommer seulement les livres qu’il composa dans les circonstances les plus difficiles pour écarter ou pour ajourner la ruine. Economie politique, histoire, romans, biographies, il reprenait tour à tour tous les genres et montrait au moins que l’âge n’avait pas affaibli les qualités d’un style dont on loue encore la fermeté. Il écrivait non pas en vue « du marbre que l’on mettrait sur ses restes, » mais pour donner à sa bouche le pain qui lui était nécessaire. Le moment allait venir où, malgré ses efforts, ce pain même lui aurait manqué, quand des amis obtinrent en sa faveur une petite sinécure du gouvernement. Le patriarche de la philosophie radicale n’était plus qu’un whig inoffensif, et le duc de Wellington lui-même s’intéressait à son sort. Ce fut dans cette retraite qu’il atteignit sa quatre-vingtième année. Un jour, semant que la fin était proche, il colla sur la dernière page de son journal une feuille qu’il avait préparée peu de temps auparavant : il ne voulait pas laisser son volume sans conclusion. Pour la première fois, devant le terme fatal, l’écrivain se sentit ému, et l’homme retrouva son cœur. De là ces lignes qui terminent un livre de notes peut-être unique par la durée qu’il embrasse, ces lignes où l’on sent confusément s’agiter des pensées qui, suivant le mot