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Wollstonecraft par la douceur de son caractère et par un certain penchant à la mélancolie. Elle avait quitté Londres un matin d’octobre pour rejoindre ses tantes dans le pays de Galles, mais elle méditait un plus grand voyage. Quelques jours après son départ, on trouva dans une auberge de Swansea le cadavre d’une étrangère. Sur la table, à côté d’une fiole de laudanum vide, était un billet dont on avait déchiré ou brûlé la signature. Le costume de l’infortunée, les lettres marquées sur ses bas et sur son corset la firent reconnaître, mais la cause de sa résolution suprême, on ne la connut jamais. Un seul mot, Swansea, indique dans le journal de Godwin le souvenir de cette fin mystérieuse. Comme toujours, l’émotion refoulée n’a pas laissé de trace, et cependant Godwin aimait cette jeune fille, qui partageait ses travaux. Peut-être aussi commençait-il à s’habituer aux tragédies qui se jouaient dans sa demeure. Une d’entre elles au moins finit par un mariage. Le 30 décembre 1816, Percy Bysshe Shelley épousa Mary Godwin dans l’église de Saint-Mildied. On a supposé que la sanction de la cérémonie religieuse fut imposée à Shelley par Godwin. M. Kegan Paul n’en dit rien, mais il n’a pas publié toutes les lettres que le gendre et le beau-père échangèrent à cette époque, et cette réticence devait faire réfléchir la critique. Quoi qu’il en soit, une fois marié, Shelley disparaît du cercle de Godwin et pour toujours. On sait en effet que le poète, après un séjour de quelques années en Italie, trouva dans les flots du golfe de la Spezzia la fin de son existence tourmentée[1].

Le soir de la vie de Godwin n’offre rien que d’assez triste. On y voit des embarras pécuniaires, une banqueroute, des souscriptions, sans aucune œuvre littéraire de grande valeur. Les amis et les disciples de Godwin meurent les uns après les autres, et son ardeur va s’éteignant. Il est toujours athée, mais il ne veut pas l’on fasse des prosélytes. On a raison, dit-il, de ne pas croire en Dieu, mais on a tort de vivre sans religion. Ce qu’il entendait par ce dernier mot, c’était l’amour de la nature universelle. « Tout ce que je vois, la terre, la mer, les rivières, les arbres, les nuages, les animaux et par-dessus tout l’homme, me remplit d’amour et d’étonnement. Mon âme est pleine à éclater du mystère de ce monde, et ce mystère même ne me le fait que mieux aimer. Voilà ce que j’appelle religion. » On comprend qu’une pareille définition ne satisfaisait pas tous les esprits qui s’adressaient encore au vieillard comme à la source de la sagesse. Parmi ceux-ci, disciples ou curieux, il y en avait qui s’arrêtaient en route ou même qui revenaient sur leurs pas. Ce fut le cas pour un certain Crooke, qui sur son lit de mort

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février, l’étude de M. É. Schuré sur Shelley.