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tous les élémens perturbateurs, car il n’y a pas de gouvernement possible avec cette garde nationale armée. » C’était bien pensé et bien dit ; mais pourquoi n’a-t-on pas essayé cette réorganisation, qui, si elle n’eût pas complètement évité le mal, l’eût du moins singulièrement amoindri ? Parce que le conseil du gouvernement de la défense nationale repoussa à l’unanimité « ce regret et cette appréciation. » Cette appréciation était cependant bien juste, on ne le vit que trop tard, et la mesure proposée était fort modérée. Mais le gouvernement sentait bien alors qu’il n’y avait qu’un maître, c’était cette garde nationale, si précieusement ménagée pour une éventualité redoutée, et qui se disposait à combattre contre tout venant pour conserver ses armes, ses privilèges et sa solde.

À l’annonce de ce que l’on nommait l’armistice, — et qui était en réalité une capitulation, puisque nous livrions tous les forts sous Paris, — la garde nationale fut exaspérée ; les commandans qui s’étaient le moins battus furent ceux qui poussèrent les plus hauts cris ; il y eut des scènes très pénibles chez le général Clément Thomas, et les reproches emportés qu’il adressa à certains tranche-montagne de cabarets furent une des raisons déterminantes de la mort atroce qui lui fut infligée le 18 mars. Les gens les plus paisibles subirent aussi un choc douloureux, et l’irritation fut vive dans tous les cœurs contre le gouvernement de la défense nationale. Le président Bonjean a nettement exprimé l’opinion du plus grand nombre lorsqu’il écrivait, à la date du 27 janvier : « Cette misérable fin d’un siège où la population de Paris a montré tant de courage et tant d’abnégation n’est due qu’à la criminelle incurie des incapables qui ont pris en main la direction de nos affaires. » La garde nationale, elle, criait simplement à la trahison. On l’avait tant flattée, tant flagornée depuis cinq mois, elle avait reçu en plein visage tant de coups d’encensoir intéressés, on lui avait si souvent répété qu’elle était héroïque et qu’elle méritait bien de la patrie, qu’elle avait fini par le croire naïvement, et qu’elle ne comprenait pas que sa seule présence en deçà du mur d’enceinte n’eût pas mis en fuite les armées allemandes qui stationnaient au-delà. À cette heure, vouloir continuer la guerre était une folie coupable : c’était en octobre, en novembre, en décembre même qu’il eût fallu tenter le grand effort ; mais maintenant il était trop tard, et tout était bien fini. Dans des conciliabules secrets, où péroraient les prochains maîtres de Paris, Flourens, Théophile Ferré, Raoul Rigault et quelques révolutionnaires en sous-ordre, tels que Duval, Mouton, Sérizier, on parlait de faire « la trouée » et de se jeter dans le Bocage afin d’y recommencer une Vendée laïque et radicale. Cela n’avait rien de sérieux et n’avait d’autre but que de tenir en haleine le