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acte amena enfin la scène qui devait progressivement échauffer la pièce jusqu’à l’embrasement final de la catastrophe. A l’approche de cette scène, un calme philosophique descendit sur le front serein de Godwin. Les lèvres de Marshall tremblèrent. Il s’agissait d’un cartel et d’une promesse de combat. Le parterre alors, s’élevant à la hauteur de la circonstance, suivant son habitude, se montrait prêt à faire le cercle autour des combattans, quand tout à coup Antonio, qui était le provoqué, prenant sa revanche sur le provocateur, déjoue à la fois l’humeur batailleuse de celui-ci et la légitime attente du parterre avec quelques déclamations contre le duel, déclamations empruntées à la nouvelle philosophie. Le sens moral de l’auditoire était mis à l’épreuve : il ne pouvait pas applaudir, car il était désappointé, et d’autre part l’amour de la morale défendait tout témoignage de mécontentement. L’intérêt se pétrifia, et le jeu de John n’était pas pour le fondre. On était alors dans la semaine de Noël, et la température fournissait des prétextes aux affections asthmatiques. Quelqu’un se mit à tousser; son voisin fut pris de sympathie, et la toux devint épidémique; mais, quand cette toux, à demi artificielle chez les spectateurs du parterre, en vint à se naturaliser parmi les personnages du drame, quand Antonio lui-même (ce n’était pas un jeu de scène indiqué) sembla plus occupé de soulager ses poumons que les angoisses de l’auteur et des amis de l’auteur, alors Godwin « pour la première fois connut la peur, » et se tournant avec douceur vers Marshall, il lui donna à entendre qu’il ne savait pas que M. Kemble fût enrhumé, et cela sans rien perdre de la sérénité de sa contenance, tandis que Marshall suait comme un taureau. »

Ce curieux morceau de critique théâtrale ne réussit pas à convaincre l’auteur que sa pièce était mauvaise : jusqu’à son dernier jour au contraire il soutint que c’était son plus bel ouvrage.


IV.

On a dit avec quelque irrévérence que Godwin, après son second mariage, se trouva dans un intérieur qui ressemblait fort à une ménagerie. C’était tout au moins un singulier assemblage que celui que formait cette famille. Au fonds commun. Mme Clairmont avait apporté un fils et une fille, et Godwin sa propre fille sans compter la fille d’Imlay, qu’il avait adoptée. Le malheureux écrivain s’aperçut bientôt qu’il avait aliéné son indépendance. Cette fois il était réduit à la « cohabitation. » Sa nouvelle épouse avait un caractère impérieux ; elle voulait être seule maîtresse dans la maison et tenir à distance les amis de son mari qui ne lui plaisaient pas. Elle avait même pour éloigner ceux-ci des prétextes qui faisaient plus d’honneur