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L’armistice fut signé, on sait au prix de quels sacrifices. À ce moment, la garde nationale de Paris comptait 28,000 officiers. Dès que les portes de Paris furent ouvertes, l’émigration commença ; émigration parfaitement justifiée, mais qui n’en eut pas moins une influence détestable sur les événemens dont on était menacé. On était las d’avoir été enfermé, d’avoir pendant plus de cinq mois vécu en dehors du monde entier, on avait hâte d’aller retrouver les siens que l’on avait éloignés au moment du péril, on voulait sortir de cette ville tumultueuse et bruyante où les clairons inutiles sonnaient à toute heure ; on croyait le véritable danger passé, on s’était sacrifié au devoir, sans profit pour la cause que l’on avait défendue ; on voulait aller savoir pourquoi « l’égoïste province, » comme disait le président Bonjean, n’était pas venue défendre, sauver sa capitale. Aussi tous ceux qui pouvaient partir laissèrent la ville livrée à elle-même, c’est-à-dire à des élémens de colère, de désespoir, de désordre, abandonnés sans contre-poids. Le colonel Montaigu évalue à 100,000 le nombre de gardes nationaux zélés, dévoués à l’ordre, qui, après l’armistice, allèrent rejoindre leur famille dans les départemens. Lorsque le moment de la résistance fut venu, on les chercha vainement ; ils n’étaient point de retour.

Lorsque M. Jules Favre débattait les conditions de l’armistice avec M. de Bismarck, celui-ci fit une proposition singulière qui prouve à quel point il était renseigné sur l’état moral de Paris. Depuis cette époque, nous avons appris de source certaine que chaque matin, vers cinq heures, le chancelier du futur empire d’Allemagne recevait, à son domicile de Versailles, un exemplaire des journaux qui étaient mis en vente à Paris, entre sept et huit heures. Il avait pu ainsi, indépendamment des relations particulières qu’il avait eu l’habileté de se ménager, savoir exactement à quoi s’en tenir sur les sentimens, les projets et les rêves de la population parisienne. Mû par un bon sentiment ou par la crainte légitime de voir les préliminaires de la paix repoussés violemment par la garde nationale de Paris, il offrit à M. Jules Favre de désarmer celle-ci. « Je donnerai, dit-il, un morceau de pain pour toute arme entière ou brisée que l’on m’apportera, ce moyen est facile et d’un succès certain. » M. Jules Favre rejeta cette proposition et affirma hautement le patriotisme et l’abnégation de Paris. Depuis, répétant un mot de Danton, il en a demandé pardon à Dieu et aux hommes. Il a eu tort ; la condition dictée par le vainqueur était trop cruelle pour être acceptable ; mais, sans arriver à cette effroyable nécessité, on peut regretter que l’on n’ait pas pris un moyen terme. Le 25 janvier, le général Trochu déplorait que l’on n’eût point exigé que la garde nationale fût dissoute et réorganisée, de manière à en « éliminer