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jeune femme qui, joignant aux dons de l’intelligence ceux de la grâce, commence par le sacrifice et la piété pour finir par la passion et le désordre. Plus encore que Godwin, Mary Wollstonecraft se révolta dans ses écrits contre les opinions de la société; mais quand on lit ses lettres, quand on la suit dans les efforts héroïques de sa jeunesse, il est bien difficile de ne pas croire qu’elle valait mieux que sa réputation et qu’elle a reçu de ce monde moins qu’elle ne méritait. Fille d’un père qui s’était ruiné par ses dissipations, elle était l’aînée de six enfans, pour lesquels elle travailla longtemps comme une esclave. Elle essaya d’abord de l’enseignement, cette grande ressource des jeunes filles pauvres en Angleterre, et commença par tenir une école où les profits furent moindres que les pertes; puis elle se mit à la peinture, quitta le pinceau pour l’aiguille et descendit presque jusqu’au bout cette pente rapide qui va de la gêne à l’indigence honteuse. Elle se raidissait contre les malheurs de tout genre, et vivait moins pour elle que pour les siens. « Les soucis, écrivait-elle, m’ont tellement traquée et j’en vois un si grand nombre devant moi que mon courage est abattu. J’ai perdu toute espèce de goût pour la vie, et mon cœur à demi brisé ne se réjouit qu’à la pensée de la mort. Cependant il se peut que je mette des années à mourir; il me faut donc de la patience, car en ce moment souhaiter ma fin serait de l’égoïsme. » Sa piété la soutenait dans la lutte douloureuse, et elle s’appuyait humblement sur « cette Providence qui ne se contente pas de relever les affligés, mais qui leur donne encore une paix qui surpasse toute description. » La mort de sa plus chère amie sembla briser pour la première fois sa force d’âme; sa santé faiblissait sous tant de chocs, et elle s’apercevait avec une sorte de joie que les murs de sa prison se délabraient et que bientôt la prisonnière serait libre. Ce fut alors que, demandant un nouvel effort à sa brave nature, elle écrivit un pamphlet sur l’éducation des filles. Un éditeur généreux lui en donna 10 guinées, et en même temps ses amis lui trouvèrent une place d’institutrice en Irlande, dans la famille de lord Kingsborough. On peut se faire une idée de la vie qu’elle mena dans le château de Mitchelstown par les extraits suivans de sa correspondance :

« J’ai pour toute société une collection de femmes sottes dont l’humeur turbulente et les rires sans motifs m’épuisent, pour ne rien dire des altercations domestiques que chaque heure voit naître. Mariage et toilette, voilà les sujets traités tour à tour, et dans un style qui n’a rien de sentimental. Hélas! pauvre sentiment, ce n’est point ici qu’il réside. Je souhaiterais presque que mes élèves lussent des romans et fussent romanesques. J’aime mieux, je le déclare, le faux raffinement que point de raffinement du tout. Ces jeunes filles comprennent plusieurs langues et ont lu des charretées