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qu’il pouvait en attendre : il y manqua la persécution du gouvernement, qui pensait qu’un ouvrage coûtant 3 guinées ne serait jamais très répandu dans le public. L’auteur n’en fut pas moins dès lors regardé par les uns comme le grand adversaire de toute religion et de toute moralité, par les autres comme le maître d’une nouvelle philosophie sociale, et par tous comme un homme extraordinaire. Il avait jusqu’à ce moment vécu dans une retraite dont ses amis seulement connaissaient le chemin. Un procès criminel lui fournit l’occasion d’en sortir. Accusés d’avoir essayé de changer la forme du gouvernement établi par la publication de différens pamphlets, accusés en outre d’avoir fait partie de sociétés politiques qui avaient la même fin en vue, Horne Tooke, Thomas Hardy, Holcroft et quelques autres passèrent en jugement. Godwin ne les abandonna pas dans cette épreuve et montra que son audace n’était pas toute au bout de sa plume. Jour après jour il vint s’asseoir dans l’enceinte du tribunal, à côté de ses amis prisonniers, indifférent aux conséquences de son courage. Il fit plus encore. Il écrivit dans le Morning Chronicle une critique impitoyable du réquisitoire du chief justice, et rendit ainsi un égal service à la cause de la liberté politique et aux prévenus qui furent acquittés. Dans cette même année, il publiait le plus célèbre de ses romans, Caleb Williams.


II.

« Ma vie a été pendant plusieurs années le théâtre de toutes les calamités. Je me suis vu en butte à la vigilance de la tyrannie, sans pouvoir y échapper. Mes plus belles espérances d’avenir ont été flétries. Mon ennemi s’est montré inaccessible aux supplications, infatigable dans sa persécution. Il a fait ses victimes de ma réputation et de ma félicité, et tous ceux qui ont connu mon histoire, refusant de m’assister dans ma détresse, ont exécré mon nom. »

Ainsi débute Caleb Williams. À ce style solennel et larmoyant, on reconnaît aussitôt un disciple de Richardson, et la suite du récit ne fait que justifier ce rapprochement. C’est le même procédé d’analyses morales, le même abus de dissertations philosophiques, la même emphase de langage. Caleb Williams est l’histoire d’un jeune paysan qui, pris en affection par un homme opulent et devenu son secrétaire, soupçonne qu’un meurtre se cache dans le passé de son maître, et n’a plus dès lors qu’une idée en tête, qui est de découvrir la vérité. Sa curiosité sera punie par la haine de M. Falkland, qui tient à sa réputation et qui, fort de l’impunité que sa richesse lui assure, épuisera sur Caleb toutes les formes de la persécution jusqu’au jour où, vaincu par la grandeur d’âme de ce jeune homme et