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Ce fut un vif émoi dans le gouvernement, et on décida alors que la garde nationale, parmi laquelle se trouvaient presque tous les amateurs de sortie en masse et de guerre à outrance, serait engagée et mise face à face avec l’armée allemande. En somme, on était à bout de voie, les vivres étaient presque épuisés ; MM. Picard et Jules Favre adjuraient leurs collègues de ne point laisser la population parisienne sentir trop durement les étreintes de la faim, la mortalité par fait de maladie augmentait dans des proportions épouvantables (8,238 décès en novembre ; en décembre, 12,885). Au commencement de janvier, la nécessité de la paix, d’une paix très prochaine et rapide, s’imposait à toutes les consciences qui avaient charge d’âme, et nul n’osait la faire, car l’on redoutait fort ce que le conseil du gouvernement appelait volontiers « la rue, » c’est-à-dire la garde nationale. On résolut alors de lui infuser des idées pacifiques, en la jetant tout entière au péril. Le général Trochu dit, dans la séance du 10 janvier 1871 : « Si dans une grande bataille livrée sous Paris 20,000 ou 25,000 hommes restaient sur le terrain, Paris capitulerait. » On se récria il reprit : « La garde nationale ne consentira à la paix que si elle perd 10,000 hommes. » Un général répliqua : « Il n’est point facile de faire tuer 10,000 gardes nationaux. » Clément Thomas, interrogé, répond : « Il y a beaucoup de charlatanisme dans cet étalage de courage de la garde nationale ; déjà, depuis qu’elle sait qu’on va l’employer, son enthousiasme a beaucoup baissé ; il ne faut donc pas se faire d’illusion de ce côté. » Ce fut ainsi que l’on prépara le combat de Buzenval ; la garde nationale ne compta ni 25,000 morts, ni 20,000, ni 10,000, ni même 1,000 morts ; mais elle perdit Henri Regnault et Gustave Lambert ; ce deuil aurait dû être épargné à la France.

Le 22 janvier, quelques futurs membres de la commune, sous prétexte de reprendre les hostilités, de continuer la guerre à outrance et de ne signer la paix qu’à Berlin, tentèrent un coup de force pour s’emparer de l’Hôtel de Ville ; ce fut une échauffourée brutale dont les quartiers voisins eurent à peine connaissance. Paris l’ignora ; au premier coup de fusil, les insurgés se débandèrent, laissant peu de chose sur la place. Cette journée eut des résultats lointains qui n’éclatèrent qu’aux dernières heures de la commune. Le bataillon qui attaqua l’Hôtel de Ville fut le 101e, des environs de la barrière d’Italie ; il avait pour commandant un corroyeur nommé Jean-Baptiste Sérizier. Arrêté en flagrant délit de violation des lois et d’insurrection, il allait être sommairement passé par les armes, lorsqu’il fut relâché sur l’intervention d’un des membres du gouvernement. Sa mort eût épargné bien des victimes, car ce fut lui qui fit tuer les dominicains d’Arcueil.