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a été une manière de prophète et de sage dont l’influence ne peut être contestée. Ami généreux et directeur de conscience à la fois, il a dans sa longue vie groupé autour de lui des jeunes gens avides de recueillir ses enseignemens, et quoique ses élèves aient en général assez mal tourné, leur histoire n’est pas sans offrir de l’intérêt. On y voit apparaître tout un coin de bohème littéraire, longtemps avant que ce nom eût été inventé ; parfois même la tragédie s’y mêle à la comédie, et le drame est complet. M. Kegan Paul n’a eu le plus souvent qu’à laisser parler les acteurs eux-mêmes; mais il les introduit sur la scène avec beaucoup d’art. Godwin, bien des années avant sa mort, avait de sa propre main arrangé dans un ordre méthodique ses manuscrits et sa volumineuse correspondance. Telle est la source où le biographe a puisé, se contentant de relier d’un fil léger les extraits habilement choisis qu’il donne au public. Le seul reproche qu’on puisse lui faire, c’est d’avoir quelquefois supposé le lecteur plus instruit qu’il ne l’est communément, et d’avoir ainsi laissé à la critique le soin de remplir les lacunes de sa narration.


I.

La théorie célèbre qui fait la part si grande aux influences du milieu ne pourra jamais se servir de l’exemple de Godwin qu’avec beaucoup de restrictions. Cet apôtre de l’athéisme eut pour parens les méthodistes les plus sévères, et ce fut dans l’asile d’une piété toute puritaine qu’il vit le jour, petit-fils et fils de ministres dissidens. Godwin a laissé de son père un portrait auquel on ne saurait reprocher l’enthousiasme. Il nous le représente comme un brave homme qui passait sa vie à cheval pour visiter ses paroissiens, et commençait régulièrement à écrire le samedi soir le sermon qu’il devait prêcher le lendemain matin, mais il ajoute que ce fut avec beaucoup de peine qu’il se décida à quitter « la scène de ce monde sublunaire. » Bon dissident, il avait en abomination l’église établie et il poussait jusqu’au scrupule le respect du dimanche. Un des rares souvenirs que Godwin eût conservés de lui c’était d’avoir été rudement tancé pour avoir profané la sainteté du sabbat en se promenant dans le jardin avec un chat sur les bras. Heureusement Mme Godwin était là pour tempérer l’austérité de son mari par son humeur enjouée. Elle aimait à raconter des histoires piquantes et mettait son ambition dans les reparties heureuses. C’était une excellente ménagère, mais une femme peu instruite : on s’en aperçoit bien quand on lit les lettres très touchantes et très comiques en même temps que jusqu’à la fin de sa vie elle ne cessa d’écrire à son fils pour le ramener à la foi de son enfance.