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il préférait laisser à d’autres l’expérience d’un mode de transport plus rapide. C’était avec joie qu’il rentrait en sa patrie après trois ans d’absence. D’un commerce prolongé avec les esprits les plus cultivés de l’Europe, il ne rapportait aucun dédain à l’égard de ses concitoyens moins instruits. Au contraire le spectacle d’une prospérité matérielle croissante le rendait fier, parce qu’il l’attribuait au moins autant à l’honnêteté de ses compatriotes qu’à leur travail. Une lettre écrite de Boston au comte Fitz William, trois mois après son retour, porte le témoignage des sentimens patriotiques dont il était animé. « Il est difficile de vous exprimer à quel point je suis frappé des progrès réalisés ici pendant mon absence. Ces trois années, qui ont été marquées par la crise commerciale la plus grave, auraient eu dans d’autres pays des conséquences profondes, peut-être dangereuses. La condition des classes inférieures est ici si confortable, elles ont tant de profits et d’épargnes, par-dessus tout tant d’éducation et d’intelligence, de moralité et de bonheur domestique, que ce qui affecte la condition des riches ne les atteint que fort tard ou même ne les atteint pas du tout. Partout s’offrent à mes yeux des preuves d’amélioration, des maisons en construction ou récemment construites, des villages et des hameaux qui sortent de terre en quelque sorte devant moi, trois chemins de fer à Boston, des bateaux à vapeur dans toutes les directions, tous les signes de l’activité et du succès, activité et succès qui appartiennent non à une classe en particulier, mais au peuple tout entier. L’éducation fait plus de progrès que la richesse. En vérité, si nous sommes capables de conserver au même point la pureté de la vie domestique et de disséminer l’instruction chez tous les citoyens, je ne vois pas ce que nous pouvons demander de plus pour notre pays. Nos institutions libres auront alors de belles chances de durée. Si elles échouent, ce sera par des défauts qui leur sont inhérens et non par la faute des circonstances au milieu desquelles on en aura tenté l’essai. »

Ces paroles sont d’un moraliste qui ne méprise pas les biens de la terre. Il répondait un jour à quelqu’un qui l’interrogeait sur la situation des idées philosophiques aux États-Unis : «Nous sommes des gens pratiques. Si la maladie métaphysique se déclare jamais chez nous, elle sera courte, elle ne deviendra jamais chronique comme chez les Allemands. » On en aura fait plus d’une fois la remarque dans les pages qui précèdent : Ticknor est de son temps. Il n’a rien de nébuleux ni d’alambiqué; il s’élève sans quitter la terre. Cet ensemble de qualités qu’il a su conserver intactes au milieu des sociétés les plus diverses ne donne-t-il pas une saveur particulière aux jugemens qu’il porte sur les hommes et sur les institutions du monde européen ?


H. BLERZY.