Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes plus hospitaliers que partout ailleurs. Il tombait à Londres au milieu d’une société où il comptait déjà beaucoup d’amis : Sidney Smith, l’un des fondateurs de la Revue d’Edimbourg, chanoine de Saint-Paul, et l’un des causeurs les plus amusans de la Grande-Bretagne, lord Jeffrey, devenu célèbre depuis son voyage aux États-Unis en 1819, moins hautain et cherchant à montrer dans la conversation plus de bon sens que d’esprit, l’historien Hallam, le poète Southey. Chose étrange, ces écrivains, dont la réputation était déjà faite, ne se louaient pas de l’aristocratie anglaise ; ils en parlaient avec amertume, en hommes qui ont éprouvé des déboires de ce côté, tout en continuant de se montrer dans les salons dont le succès littéraire leur a ouvert les portes. Ticknor n’avait aucune raison d’éprouver de pareils dégoûts. Il dînait sans arrière-pensée chez lord Rolland ou chez lord Lansdowne, heureux de se mêler aux discussions du jour et sans regretter l’atmosphère exclusivement politique dans laquelle il avait vécu tout un hiver à Paris.

On s’étonnerait qu’un érudit dont le premier voyage en Europe avait eu l’étude pour but n’ait pas visité cette fois Oxford et Cambridge, les deux foyers de la science britannique; mais, il faut bien le dire, il déclare que la nature, les besoins et les ressources de l’éducation populaire sont mal compris en Angleterre, au moins en pratique. S’il pénètre dans ces citadelles du torysme, ce n’est point, comme autrefois à Gœttingue, pour en suivre les cours, ou, comme l’hiver précédent à la Sorbonne et au Collège de France, pour se rendre compte de l’instruction que les auditeurs y reçoivent. A Oxford, c’est la bibliothèque bodléienne qui l’attire le plus; encore n’y trouve-t-il rien, parmi le demi-million de volumes qu’elle contient, qui ait rapport aux origines de la littérature espagnole dont il s’occupe. A Cambridge, il assiste aux solennités de la fête de Pâques, au grand dîner des professeurs dans Trinity-Hall, avec les coutumes du moyen âge et sous les boiseries vénérables qui ont abrité les étudians des siècles passés. Dans les bibliothèques de l’Université et de Trinity-College, il feuillette avec émotion les manuscrits de Newton et de Milton. Ces évocations d’un autre âge lui laissent un regret, c’est qu’une organisation pédagogique si vénérable par son antiquité, des ressources financières si puissantes, des professeurs si studieux ne soient pas mieux appropriés aux besoins de l’époque présente. Hallam, à qui il accorde un jugement sain et droit, quoique un peu novateur, et qui connaît bien d’ailleurs les deux universités pour avoir été élevé à Oxford et pour avoir envoyé son fils à Cambridge, Hallam l’en avait prévenu. L’esprit moderne se détourne de ces institutions surannées qui ne savent pas se réformer elles-mêmes.

On est tenté de croire que Abbotsford était le but principal d’une