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par les convicts de la mère-patrie. « Je l’ignore, répliqua-t-il, mais je sais que plusieurs membres de la famille Vassall (la famille de lady Holland) y sont arrivés au début et qu’ils se sont établis dans le Massachusetts. » La réponse était de bonne guerre ; peut-être eût-elle eu plus de succès à Paris qu’à Londres.

Ce n’est pas à Londres seulement, c’est surtout dans les châteaux qu’il est intéressant d’observer la haute société anglaise. Ticknor fut invité à passer quelques jours à Woburn-Abbey, chez le duc de Bedford, père de lord John Russell. Jamais si splendide résidence ne s’était trouvée sur son chemin. Woburn-Abbey renfermait une splendide galerie de tableaux contenant deux cents toiles dont quelques-unes pouvaient compter parmi les meilleures des écoles italienne et espagnole, une magnifique bibliothèque comprenant les meilleures éditions des classiques de tous les pays. Au dehors, c’étaient des volières, des viviers, des serres, des jardins, un jeu de paume, un manège, une galerie d’antiquités, sans compter le domaine proprement dit cultivé avec la science agricole que les grands seigneurs anglais déploient volontiers, et un parc de onze milles de circonférence où justement se donnait la dernière grande chasse de la saison. Bien qu’il y eût nombreuse société chez le duc de Bedford, trois des assistans, Ticknor, M. Adair, ancien ministre d’Angleterre à Vienne, et lord John Russell, se déclarèrent seuls indignes de prendre part à cette fête cynégétique, ce qui ne les empêcha point d’en admirer les résultats. Le soir, le garde-chasse en grande tenue venait annoncer au dessert que 404 pièces, lièvres, perdrix ou faisans, avaient été tuées. C’était là jeu de grand seigneur, on en conviendra.

Ce n’était point assurément le même monde que Ticknor fréquentait à Edimbourg quelques jours plus tard. Les études philosophiques ou littéraires brillaient encore du plus vif éclat dans la capitale de l’Écosse. Nulle part en Europe, dans la société élégante, si grande place n’était faite au talent, à la culture intellectuelle. L’érudition s’y offrait avec d’autant plus de charme qu’elle y était possédée par des gens de bonne compagnie. Le vieux Playfair s’y faisait encore remarquer par des élans d’enthousiasme associés aux recherches scientifiques. Dugald Stewart, malade de corps et d’esprit, ne paraissait plus; mais Walter Scott, atteint déjà par les infirmités, quoiqu’il n’eût que quarante-huit ans, jouissait de l’incomparable réputation que ses vers lui avaient acquise en Écosse et ses romans dans le reste de l’Europe. Ticknor eut la bonne fortune de passer deux jours à Abbotsford, seul avec la famille du grand romancier. C’était encore à cette époque un modeste manoir, plein des souvenirs de l’ancien temps, la résidence favorite d’un pur jacobite à qui la terre natale a fourni ses meilleures inspirations. « Chaque