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1871 : « Je ne perdrai jamais le souvenir des diversions horribles que les hommes de désordre sont venus apporter à la défense nationale, et je me sens bondir le cœur d’indignation à la pensée qu’au 31 octobre il m’a fallu quitter les Prussiens pour venir à l’Hôtel de Ville, et, chose misérable à noter, pas un des chefs de ce parti, si disposés à l’insulte et à l’étalage de patriotisme, ne s’est exposé devant l’ennemi. » À la suite de cette triste échauffourée, les hommes du gouvernement de la défense nationale, qui, sans exception, avaient très énergiquement combattu le dernier plébiscite de l’empire, firent appel à la population parisienne et en obtinrent un vote de confiance, en vertu duquel ils conservèrent le pouvoir. Ceci prouve que dans la vie politique on est parfois contraint de recourir aux mesures que l’on avait condamnées, à moins que l’on n’ait du génie ; mais le génie est une maladie rare et jusqu’à présent peu contagieuse.

La majorité considérable et très sincère qui s’était décidée à soutenir le gouvernement et à lui donner le droit, au lieu du fait en raison duquel il avait existé jusqu’alors, lui apportait, du moins pour la durée de la guerre, une force très imposante. La population, loyalement consultée et répondant loyalement, venait de dire son in manus, elle remettait, sans restriction, son sort entre les mains de ceux qui auraient dû la diriger depuis deux mois. Les hommes du gouvernement, éclairés par la cruelle expérience qu’ils eurent tout le loisir de faire pendant la soirée de l’Hôtel de Ville, vont-ils tenter un essai sérieux ? Garrottés sur leur fauteuil, gardés de près, ils avaient vu parader devant eux les ennemis irréconciliables de toute légalité, les commandans de bataillon, futurs chefs de la commune, ils avaient regardé le danger en face, et n’y avaient échappé que par miracle ; ont-ils compris enfin qu’il faut agir, sous peine de mort, et vont-ils chercher à condenser les forces vives de ce groupe de 2 millions d’habitans qui vient de se donner à eux ? Nullement ; tout reste dans le même état ; il n’y a que l’hiver qui s’approche, la famine qui s’accentue, l’espoir qui s’éloigne. Les bataillons insurgés ne sont point désarmés, les bataillons douteux ne sont point épurés, les bataillons dévoués ne sont point utilisés ; à cette heure, il existait dans la garde nationale de Paris plus de 100,000 hommes aptes à faire un service excellent et à combattre sans faiblesse, si l’on eût pris soin de leur donner une éducation militaire qui leur faisait défaut ; cet appoint nous était indispensable pour les tentatives de décembre et de janvier. Faute de l’avoir préparé pour en user au moment opportun, Paris désespéré est rentré dans ses murs et a fini par se dévorer lui-même. La défiance entre les généraux et la garde nationale était excessive ; on doit se hâter de le dire