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s’accroupit et parut plongé dans une sorte de contemplation extatique.

— Éloignons-nous, me dit Frank ; je préfère qu’il ne sache pas que nous l’avons vu.

— Que fait-il donc? repris-je.

— Il invoque Pelé. Jane avait raison, Kimo est un des sectateurs de la déesse. Évitons en ce moment d’aborder ce sujet avec lui, et, pour cela, feignons d’ignorer ce que le hasard nous a appris.

Quelques instans après, Kimo nous rejoignait. Son visage ne trahissait aucune de ses émotions. Frank l’entretint de son projet, qu’il approuva, et, comme la veille, les Kanaques construisirent deux huttes pour Jane et pour nous.

Nos craintes diminuées nous permettaient de jouir du grandiose tableau qui se déroulait devant nous. La nuit venait. Un dernier rayon se jouait sur la cime de la montagne, dont il semblait se détacher à regret. Cette lueur fugitive brilla, s’effaça, reparut, puis cessa, et sans transition l’obscurité envahit tout. Sur le fond devenu noir, le lac se dessinait plus rouge, passant par toutes les teintes de l’orange à un blanc cru, dont l’œil pouvait à peine soutenir l’insupportable éclat. Jane, non plus que moi, ne pouvait s’arracher à ce spectacle. Aussitôt notre repas achevé, nous revînmes sur les bords du cratère où Frank nous rejoignit après avoir donné les ordres pour la nuit. Jane lui exprima le désir de passer la journée du lendemain où nous étions. Il secoua la tête en souriant.

— Vous ne voulez pas, dit-elle d’un air surpris. Vous êtes donc bien pressé de gagner Kaïlua?

— Oui, car je ne suis qu’à demi rassuré. Il est prudent de nous rapprocher de la mer, et nous en sommes loin. L’éruption qui se prépare, car il s’en prépare une, soyez-en sûre, pourrait nous couper la route. Mon avis est de partir demain à la pointe du jour et de gagner Kona, si possible.

Jane n’insista pas, et deux heures après tout reposait autour de nous. Je restai seul avec Frank, regrettant, moi aussi, de quitter si promptement le volcan et ne pouvant me rassasier de cet étonnant spectacle. Frank était évidemment préoccupé. Je veillai quelque temps avec lui, et la nuit était déjà avancée quand nous gagnâmes notre hutte, non sans qu’il eût réitéré l’ordre aux veilleurs de redoubler de vigilance.

Je dormais profondément lorsque mon compagnon m’éveilla. — Debout, dit-il, et sans bruit. — L’aube ne blanchissait pas encore l’horizon. Il me semblait qu’un calme surnaturel régnait autour de nous; le bruit monotone du volcan avait cessé, pas un souffle dans l’air, pas un bruissement de feuilles. Je me levai. Frank m’attendait au seuil de notre cabane. — Venez, me dit-il.