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— Halte et pied à terre ! s’écria Frank.

Chacun de nous obéit sans mot dire. Les Kanaques prirent la bride des chevaux et nous suivirent en silence. Les secousses se succédaient moins violentes, mais plus rapprochées. Kimo marchait en avant. Je le rejoignis. Son visage avait repris toute son impassibilité.

— Vous souvenez-vous du chant de Kiana? me dit-il abruptement.

— Oui, mais à quel propos me demandes-tu cela, et qu’a-t-il de commun avec ce qui se passe?

— Vous le saurez bientôt peut-être.


III.

Nous étions au bord du cratère. Les derniers rayons du soleil plongeaient dans l’abîme dont ils éclairaient les parois perpendiculaires et dessinaient les immenses contours. Sous nos yeux se déroulait un cirque de plus de trois lieues de circonférence et d’environ mille pieds de profondeur. Un bruit lointain, comme celui de la mer à distance, montait jusqu’à nous. Dans ce vaste cratère s’agitait un lac de feu dont les vagues soulevées se déroulaient avec ampleur et venaient battre les parois de roches calcinées qui cédaient çà et là sous cette effroyable chaleur et s’écroulaient dans le cratère comme une dune de sable minée par les flots. On entendait alors un ruissellement pareil à celui d’un torrent sur un lit de cailloux. L’atmosphère embrasée miroitait au soleil. Devant nous, fermant l’horizon à quelques lieues de distance, se dressait la masse énorme du Mauna-Loa, couronné de neiges éternelles que le soleil teintait d’un rose vif, et qui semblait défier le lac béant soulevé à ses pieds en efforts impuissans. Frank sonda d’un coup d’œil rapide l’abîme de feu, et je surpris sur son visage une expression de satisfaction.

— Tout va bien, me dit-il. Nous pouvons camper ici sans danger cette nuit, et demain nous contournerons le volcan pour gagner la route de Kaïlua. Décidément je m’alarmais à tort.

— Que dit Kimo?

Nous le cherchâmes du regard, il avait disparu. Les Kanaques, tête nue, attendaient des ordres. Nous nous dirigeâmes vers un monticule qui formait une pointe avancée sur le cratère. Tout à coup Frank appuya sa main sur mon bras. — Regardez, dit-il à voix basse. — Kimo, debout sur ce monticule, faisait des gestes étranges. Sa main, étendue vers le volcan, s’agita lentement, puis laissa échapper quelques objets qui se perdirent dans l’espace et dont nous ne pûmes suivre la chute ni constater la nature. Cela fait, il