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avec ces hommes, une armée avec cette foule, on n’imagina rien de mieux que de laisser nommer les officiers à l’élection : « Les gardes mobiles ont tout intérêt, disait un ministre, à choisir parmi eux les plus braves et les plus capables. » Dès lors, dans la même ville, vivant côte à côte, s’inspirant de passions absolument opposées, il y eut deux armées en présence, deux sœurs ennemies qui se haïssaient cordialement : l’une qui sollicitait d’être menée contre les troupes de la Prusse, l’autre qui se réservait pour une insurrection espérée. Tout le monde parlait à cette garde nationale, on la grisait d’éloges, on l’enivrait de grands mots, et chacun se croyait en droit de faire sa petite proclamation ; Dieu sait ce qu’on lui disait. « Soyez terribles, ô patriotes ! s’écriait Victor Hugo, arrêtez-vous seulement, quand vous passerez près d’une chaumière, pour baiser au front un petit enfant endormi ! » Et cela trois jours après que ces « patriotes terribles » avaient abandonné trop lestement l’imprenable Mont-Valérien.

Nulle volonté énergique, nulle direction pendant ces mauvais jours ; Paris, enfermé, forclos, séparé de la France, s’attendait d’heure en heure à être délivré par la province ; de ci de là on enlevait quelques ballons, mais il n’en revenait jamais, et cette ville, où d’habitude affluent tous les bruits de l’univers, environnée maintenant d’un grand silence, s’étourdissait aux rumeurs de ses propres illusions. La nouvelle de la capitulation de Metz, apprise aux avant-postes par un chef d’ambulance pendant une courte suspension d’armes destinée à favoriser l’enlèvement des morts, racontée par lui à deux personnages naturellement insurrectionnels et transmise à un journaliste habituellement furibond, amena le 31 octobre : journée honteuse qui permit aux Allemands de reconnaître avec certitude le mal dont Paris était rongé. Il est à remarquer que pendant cette guerre toutes les fois que l’ennemi nous fait une blessure, le parti révolutionnaire nous en fait une autre. Cela commence le 17 août lorsque l’on apprend l’entrée des Allemands à Nancy. On se rappelle l’affaire de La Villette ; Blanqui avait imaginé le complot, Granger avait fourni les fonds, et Eudes, — le futur général Eudes, — avait mené sa bande à l’assassinat de quelques pompiers inoffensifs. Ce fait avait paru odieux ; le 31 octobre ne le fut pas moins. La population du reste n’y prit aucune part ; ce fut bel et bien un essai de révolution de palais, à la mode turque ou byzantine. Le dénoûment en fut ridicule. M. Ernest Picard s’esquiva spirituellement, alla chercher la garde et fit simplement arrêter les énergumènes qui se promenaient sur les tables sans pouvoir émettre une idée, par la bonne raison qu’ils n’en avaient pas. M. le général Ducrot a dit à l’assemblée nationale, dans la séance du 28 février