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ils marchaient l’un près de l’autre sur la plage, les Kanaques se disaient tout bas : — Vakea aime Kiana, — et ils souriaient, parce qu’ils la trouvaient belle et qu’elle rendait le chef bon.

« Les prêtres seuls la craignaient. Vakea ne les interrogeait plus et leur refusait des victimes pour les fêtes. Il les évitait et parlait souvent à ceux qui l’approchaient de près de ce Dieu nouveau dont Kiana l’entretenait. Il avait parfois des accès de joie et des momens de tristesse profonde, mais aussitôt qu’il était près d’elle il était heureux.

« Kiana l’aima et consentit à devenir sa femme. Il jura devant le peuple, au nom de ce Dieu inconnu, qu’il n’aurait jamais d’autre femme qu’elle, et Kiana mit sa main dans la sienne. Elle s’agenouilla, et pour la dernière fois on la vit pleurer en regardant la mer. Puis elle leva es yeux en haut, et un doux sourire parut sur ses lèvres.

« Deux années s’écoulèrent. Vakea était heureux. Tous autour de lui l’étaient aussi. Les femmes ne craignaient plus qu’on leur enlevât leurs enfans pour les sacrifier à Kipi, dieu de la guerre, depuis que Kiana berçait dans ses bras et nourrissait de son sein une fille qu’elle avait nommée Malia, Marie, en kanaque. Elle était moins blanche que sa mère. Ses cheveux étaient noirs comme ceux de son père, mais on y voyait une tresse blonde comme celles de sa mère...

« — Kiana est mon ancêtre, dit Jane en s’interrompant, et, depuis l’époque dont je vous parle, toutes les femmes de la famille ont conservé ce signe distinctif de leur origine.

« Malia avait quatre ans quand Kiana fut atteinte d’un mal mystérieux. Elle devint plus blanche, plus maigre. Toujours fatiguée, elle marchait à peine et passait de longues heures étendue sur sa natte. Vakea ne la quittait pas. La voix si douce de Kiana était comme une musique à ses oreilles. Elle lui parlait de son Dieu, elle lui disait d’être bon pour son peuple, indulgent pour les coupables, tendre pour les faibles. Elle allait mourir, répétait-elle, mais elle irait là où elle le retrouverait un jour, où elle pourrait encore veiller sur lui et lui parler dans les heures de la solitude. Vakea pleurait.

« Kiana mourut. On crut parmi le peuple que les prêtres lui avaient donné un poison subtil. La douleur de Vakea fut effrayante. On ne pouvait l’arracher du cadavre de celle qu’il avait tant aimée. Sur son ordre, on brûla la cabane où elle avait vécu avant d’être sa femme. Sur l’emplacement il fit creuser un caveau où l’on déposa le corps, et il fit jurer à ses chefs de le mettre près d’elle quand il mourrait. Un an après, Vakea reposait près de Kiana. »

— Merci, dis-je à Jane, qui essuyait quelques larmes, mais l’histoire est finie, ce me semble.