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prémédité aux plus détestables pratiques de l’ancien régime, à ces violences arbitraires qui furent la cause déterminante de la révolution française. Aussitôt qu’ils se sont emparés du pouvoir, les maisons pénitentiaires deviennent des prisons d’état : maison de dépôt, maison de prévention, maison de détention, dépôt des condamnés, correction paternelle, n’importe ; c’est la Bastille et le Fort-l’Évêque ; ni mandat d’amener, ni mandat d’arrêt, des lettres de cachet, et pas autre chose : un seul mode de gouverner, l’incarcération. Aussi l’histoire des prisons est-elle l’épisode le plus important de l’histoire de la commune, et c’est ce qui nous a engagé à essayer de l’écrire avec quelques détails.

Les documens originaux sont très abondans ; les témoins, — gardiens ou détenus, — sont encore parmi nous, et répondent aux questions en donnant des lumières importantes ; les vaincus, fort peu convertis, encore moins repentans, ont parlé, nous avons écouté leur parole. Tous les élémens de la vérité sont entre nos mains, nous espérons pouvoir la saisir, la faire impartialement connaître, car nous sommes désintéressé de tout parti politique, nous n’avons cessé d’habiter Paris pendant la commune, et la lie des grandes colères est tombée. Il nous est donc possible de voir distinctement aujourd’hui ce qu’un voile de flammes et de sang nous empêchait de distinguer nettement il y a six années, au moment de cet effondrement sans pareil qui a révolté les cœurs les plus calmes ; mais, avant de pénétrer de plain-pied dans notre sujet et de rappeler les actes commis, du 18 mars au 28 mai, dans chacune de nos prisons urbaines, il est indispensable d’expliquer très sommairement quelques-unes des causes immédiates de la commune, et d’indiquer quels sont les hommes qui, agissant en vertu d’une tradition réprouvée par la conscience publique, condamnée par l’expérience, stigmatisée par l’histoire, ont recherché la mission d’être les pourvoyeurs des maisons pénitentiaires et les fauteurs des massacres qui les ont ensanglantées.


I. — LA GARDE NATIONALE.

Pendant la période d’investissement, Paris manqua d’autorité : état de siège, état de guerre, vains mots, nul effet. Pouvoir militaire, pouvoir politique, pouvoir administratif, tout se combattait, se neutralisait et produisait une incohérence sans nom. On obéissait à tout le monde, au gouverneur, aux ministres, aux maires, aux chefs de corps, aux commandans de la garde nationale, aux présidens des comités et des clubs ; ces autorités multiples détruisaient l’autorité. En résumé, on n’obéissait à personne. Bien souvent, trop