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KIANA
SOUVENIR DES ILES SANDWICH.


I.

Nous avions voyagé toute la journée sous un soleil brûlant, un vrai soleil des tropiques. Parti de très bonne heure de Kavaïhaé, où m’avait déposé une des goélettes qui relient Honolulu, capitale de l’archipel des Sandwich, à la grande île de Havaï, je me proposais de gagner le même jour la ferme d’Éva, située à quinze lieues dans l’intérieur des terres. Mon ami Frank, fils du propriétaire, m’y attendait.

Après avoir gravi pendant six heures les contre-forts pierreux et brûlés qui séparent Kavaïhaé des plateaux élevés de l’intérieur de l’île, je vis enfin se dérouler devant moi une plaine verte, sillonnée de cours d’eau qui murmuraient entre leurs rives gazonnées, et fermée à l’horizon par la forêt d’Éva. Je trouvai là des guides envoyés par Frank, des chevaux frais pour mon domestique et pour moi, et après un court repos bien mérité nous reprîmes notre course. Deux heures d’un galop rapide nous amenèrent à la lisière des bois. Ces bois s’étageaient à perte de-vue sur les pentes de Mauna-Loa, la montagne géante qui dressait d’un seul jet sa masse énorme. La cime étincelante de neige miroitait au soleil; des nuages d’un blanc laiteux s’effrangeaient sur les arêtes où ils rampaient en flocons légers.

Rien ne peut rendre l’aspect magique de ces forêts vierges de l’Océanie. Un sentier à peine tracé s’ouvrait devant nous. A droite, à gauche, des lianes enchevêtrées couraient d’un arbre à l’autre, enlaçant les troncs, s’accrochant aux branches, pendant en festons légers terminés par de petites vrilles prêtes à étreindre rameaux ou feuilles à leur portée. Au-dessus de nos têtes, un dôme de verdure à travers lequel se glissait parfois en se jouant un clair rayon de soleil qui traçait sur le sol une raie lumineuse. De grands