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des ministres. Sur ce point, le roi et son conseil étaient d’accord. Ils voulaient, les uns et les autres, sauver la vie des accusés, certains, selon le mot de M. Guizot, « qu’il n’y avait ni dans l’âme de ceux-ci la perversité morale sans laquelle la peine de mort est une odieuse iniquité, ni dans leur condamnation l’utilité sociale qui doit s’ajouter à la perversité de l’accusé pour que la peine de mort soit légitime. » Mais le sentiment public leur était en majorité contraire. Dans la population qui avait pris part à la révolution, dans la garde nationale, dont cette population remplissait les rangs, les cœurs frémissaient encore de la colère qu’avaient soulevée les ordonnances de juillet, des périls qu’avait semés partout la lutte, des sacrifices douloureux qu’avait coûtés la victoire, et l’on se demandait si le droit violé et le sang versé resteraient sans expiation. Ce sentiment éclata surtout quand, à la chambre des députés, la nécessité d’abolir la peine de mort devint l’objet d’un rapport et d’un débat, à la suite d’une proposition de M. de Tracy, qui s’occupait déjà, d’accord avec le roi, et pour préserver les jours des anciens ministres sans avoir l’air de les défendre, de faire supprimer la peine capitale.

C’est le 8 octobre que ce débat s’engagea sur le rapport de M. Bérenger, qui concluait à regret à l’ajournement de la proposition de M. de Tracy, en la recommandant à la sollicitude du gouvernement. La discussion démontra clairement que le principal objet de la proposition était le salut des signataires des ordonnances, encore que personne n’osât le dire ; mais même avec ce sous-entendu la nécessité de l’abolition de la peine de mort recruta des défenseurs ardens et éloquens. C’est à peine s’il se trouva un orateur froidement fanatique, M. Eusèbe Salverte, pour protester et pour faire aux prisonniers de Vincennes des allusions déclamatoires et vengeresses, en dépit desquelles il fut décidé, avec l’assentiment du garde des sceaux, par 225 voix contre 21, qu’une adresse serait présentée au roi à l’effet de solliciter une loi abolissant la peine de mort pour les crimes politiques et pour certains crimes de droit commun. En même temps, afin de donner à cette adresse toute sa haute signification, afin de démontrer que le sentiment d’humanité qui l’avait dictée ne se désintéressait pas des victimes de la bataille des trois jours, la chambre accueillit avec sympathie, en attendant qu’elle eût le loisir de la discuter, la demande d’un crédit de 7 millions, qui devait être employé en secours et en pensions au profit des 500 orphelins, des 500 veuves et des 3,850 blessés qui survivaient à la lutte.

Le lendemain, le roi reçut la commission de la chambre chargée de lui présenter l’adresse contre la peine de mort. « Le vœu que vous exprimez, répondit-il, était depuis longtemps dans mon cœur,