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faire ce qui dépendait de moi et de prêter au malheur l’appui de ma parole. Dans une pareille situation, messieurs, je dois demeurer étranger aux délibérations dont la chambre va s’occuper, et l’explication que j’ai l’honneur de lui donner n’a pour objet que de lui faire connaître que je m’abstiens d’y prendre part.»

De tous les orateurs qui se succédèrent et dont le plus violent fut M. Gaétan de La Rochefoucauld, encore qu’il proposât de réduire l’accusation à l’abus de pouvoir en matière d’élection, un seul, M. Berryer, alors à ses débuts, repoussa violemment la mise en accusation. En termes de la plus haute éloquence, convaincu que, la charte étant violée dans la personne du roi, elle ne pouvait plus être appliquée à ses ministres, il demanda s’il pourrait y avoir dignité, mesure, liberté, garantie de justice dans les rigueurs exercées contre les auteurs des actes politiques qui avaient précédé la révolution. Il ne prétendait pas qu’ils fussent innocens : « La plus belle couronne de l’univers tombée du front de l’héritier de tant de rois ! s’écriait-il ; le caractère d’un prince loyal et humain si douloureusement compromis, livré à de si vives accusations ! La longue paix et l’immense prospérité d’un grand peuple menacées de si désolans désastres! Oui, ils sont coupables! mais vous ne pouvez pas vous faire leurs accusateurs, et je ne leur vois plus de juges sur la terre de France! » La chambre refusa de se rallier à cette généreuse doctrine, et à la fin de cette longue et émouvante séance, elle vota, par 244 voix contre 47, la mise en accusation du prince de Polignac. A la séance du lendemain, elle émit un vote analogue contre M. de Peyronnet par 232 voix, contre M. de Chantelauze par 222, contre M. de Guernon-Ranville par 215. En vain le défenseur de ce dernier, M. Crémieux, dans un mémoire dont M. Bérenger donna lecture à la chambre, s’efforça de séparer la cause de son client de celle des autres accusés. Il ne put y parvenir, et M. de Guernon-Ranville lui demanda ultérieurement de renoncer à ce système de défense, qu’il considérait comme indigne de son caractère. La mise en accusation des trois ministres fugitifs fut également prononcée; mais l’instruction devait les tenir momentanément à l’écart pour ne s’occuper que de ceux qui étaient au pouvoir de la justice. Enfin, pour couronner cette procédure, la chambre élut trois commissaires chargés de soutenir l’accusation : MM. Bérenger, Madier de Montjau et Persil.

Tandis que ces événemens se déroulaient dans le parlement, l’agitation populaire qui avait survécu dans Paris aux journées de juillet, loin de s’apaiser, devenait chaque jour plus intense et plus menaçante pour la sécurité des citoyens et la durée du nouveau gouvernement. La révolution accomplie, la discorde était née entre les hommes qui l’avaient faite et à qui Louis-Philippe devait son