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— Mais, dit le chef de notre librairie,
Notre Aristarque a peint de fantaisie
Ce monstre en l’air que vous réalisez.
— Ce monstre en l’air ? votre erreur est extrême,
Répond la nièce ; eh ! monseigneur, lisez ;
Ce monstre-là, c’est mon oncle lui-même !

S’il faut en croire certain pamphlet du temps, c’est à Voltaire lui-même que Fréron aurait dû de pouvoir reprendre la plume. Voltaire en effet se vanta d’avoir « demandé sa grâce à M. de Malesherbes[1]. » Rien ne paraît plus vraisemblable pour qui connaît Voltaire. Il n’est point d’esprit sublime qui n’ait été plus souvent troublé et obscurci par les fumées d’un tempérament presque toujours semblable à un volcan en éruption ; mais, à la première éclaircie, la raison et le cœur de ce grand homme reprenaient le dessus, dominaient le tumulte des passions déchaînées et découvraient la justice à la pure lumière de l’amour.

Les Lettres de Fréron reparurent au bout de quelques mois. Le critique connaissait trop bien Voltaire pour croire à une longue trêve. J’estime même qu’il eût été fâché de le voir amender ses défauts, pardonner les offenses et aimer ses ennemis, car le portrait qu’il avait fait n’eût plus été ressemblant. Fréron ne désarma pas ; il attaqua même, toujours avec une grande modération dans la forme, mais avec plus de fermeté et de résolution que par le passé. Les jésuites, le roi de Pologne Stanislas, la petite cour du dauphin et de Mesdames, le poussèrent dans une voie fausse et qui n’était pas la sienne. Le siècle devenait philosophe, c’est-à-dire incroyant, déiste ou athée ; le libre examen ébranlait les fondemens du trône et de l’autel ; dans les salons comme dans les cafés, au Palais-Royal et dans Versailles même, on s’occupait bien plus de métaphysique et de théories économiques que de petits vers et de tragédies. L’Encyclopédie, c’est-à-dire la science, avait détrôné la littérature. Dans les livres comme dans les lettres, il n’était plus question que de philosophes et d’encyclopédistes. Voilà l’ennemi qu’on avait signalé au critique.

Fréron eût préféré d’autres adversaires. Ainsi que les gens de goût de l’ancienne école, il se piquait d’ignorer les sciences. La philosophie était pour lui une discipline d’école. Il lui semblait aussi indécent de parler de telles choses devant les personnes du monde que de physique ou de médecine. Quand on discutait devant lui de l’origine de l’univers, des êtres et des sociétés, il demeurait stupide. Il pensait en lui-même que ceux qui prenaient à cœur de résoudre de pareils problèmes pourraient bien être fous à lier. La solution, Fréron l’avait trouvée dès ses plus jeunes ans, lorsqu’il

  1. Correspondance générale, 22 juillet 1752.