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ce point, je puis vous assurer que, si je suis forcé d’entrer, je saurai sortir. » L’empereur Alexandre peut être sûr de ses intentions, il n’est pas sûr des événemens dont l’éclat d’un conflit peut donner le signal. Le fait est que si, à ce moment extrême où nous sommes, avant l’heure fatale, une dernière inspiration de prudence ne prévaut pas à Saint-Pétersbourg, la guerre semble inévitable en Orient, et avec la guerre en Orient, c’est l’imprévu pour tout le monde. La France, quant à elle, sans se séparer du reste de l’Europe, sans s’isoler, est heureusement dispensée de toute action directe. Si elle s’intéresse à cette cause, que la Russie compromet peut-être en croyant la servir, elle s’intéresse encore plus à la paix. Elle est pour la paix quand même, et, au milieu de toutes ces complications qui commencent ou qui continuent, elle n’a d’autre rôle que de suivre les événemens en spectatrice attentive, recueillie, libre d’engagemens et de liens.

C’est dans ce tourbillon cependant qu’a éclaté tout à coup le bruit le plus inattendu, le mieux fait pour retentir en Europe même au milieu des préoccupations du protocole et des dernières péripéties des affaires d’Orient. M. de Bismarck quittait le pouvoir et venait de remettre sa démission à l’empereur Guillaume ! Le prince-chancelier ne demandait qu’à s’en aller détendre ses nerfs irrités dans la solitude de Varzin, cherchant le repos des travaux accomplis, l’oubli des déboires essuyés, des oppositions de la cour et de la ville ! Le coup de théâtre était complet. La veille encore M. de Bismarck allait au Reichstag, où il prenait la parole. Il recevait les marques de la plus courtoise déférence de son souverain, qui allait le visiter chez lui et lui porter ses complimens pour l’anniversaire de sa naissance. Le lendemain on ne parlait que de la retraite, de la démission du tout-puissant ministre, et ce bruit a fait aussitôt le tour du monde.

Que s’était-il donc passé ? Cette résolution de quitter au moins momentanément le pouvoir a pu avoir bien des causes apparentes ou intimes. Que le chancelier ait mis en avant sa santé altérée, il n’y aurait rien d’extraordinaire après les quinze ans qu’il vient de passer ; mais ce n’est pas tout. Évidemment, même pour un ministre qui donne des provinces, des royaumes, une couronne impériale, tout n’est pas rose dans la politique, et M. de Bismarck n’est pas plus qu’un autre à l’abri des oppositions, des luttes secrètes qui se mêlent parfois aux difficultés plus sérieuses de l’œuvre publique.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que M. de Bismarck a pu s’apercevoir qu’il ne jouit pas d’une faveur complète jusque dans l’intimité de la famille impériale, et qu’il a pu entendre murmurer à son oreille le nom de Wallenstein. L’homme d’ailleurs n’est pas commode et ne prend guère souci de désarmer les hostilités. Il a les inconvéniens de la force, il est implacable parfois même à l’égard des personnages les mieux vus à la