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merci, ne manifestait point d’impatience, répondant à ceux qui se plaignaient trop fort : « Cela pourrait aller plus mal, et d’ailleurs, puisque tout change en ce bas monde, peut-être bien que cela aussi changera. » Il n’aura fallu rien moins que l’incendie pour amener la fin d’un pareil état de choses, et c’est en ce sens que les pires catastrophes ont parfois du bon. Robert le Diable revit aujourd’hui d’une vie nouvelle; vous ne le reconnaîtriez pas : la musique profite à son tour des splendeurs de cette mise en scène. Étouffée jadis sous la poussière et les décombres, elle emprunte aux circonstances une sorte de merveilleux rajeunissement. Les passages démodés se perdent dans le mouvement, et l’éclat de la fête et les beautés du troisième acte et du cinquième gagnent à la magnificence du spectacle. Du côté de l’exécution comme pour le matériel, tout est reconstitué; l’émulation va de l’un à l’autre, c’est à qui ne commettra pas de faute, et Gabrielle Krauss fait une Alice rayonnante d’inspiration. — A quelques jours de distance, j’ai revu le Prophète, également remis à la scène avec pompe, et je m’y suis fort ennuyé. Cette partition éclate de beautés, l’acte de la cathédrale est peut-être la page la plus splendide que Meyerbeer ait écrite; mais ces beautés sont plus musicales que dramatiques, elles sont d’ordre spécifique, comme dirait un Allemand. Si l’on excepte cette grande figure de la mère égarée dans une cohue d’imbéciles et de sacripans, ce drame-là n’a rien d’humain. C’est du spectacle pour le spectacle, et souvent aussi de la musique pour la musique. Mérimée a cent fois raison; au théâtre, il n’y a que l’anecdote qui compte. La Saint-Barthélémy même ne suffirait point pour nous intéresser si les personnages qui se détachent sur le fond du tableau, — Valentine, Raoul, Saint-Bris, Nevers, Marcel, la reine Marguerite, — ne vivaient d’une vie personnelle, idéale à la fois et réelle, intense et typique. Mais qui voulez-vous qui s’intéresse à ces querelles de burgraves et d’anabaptistes? Ce Jean de Leyde, à qui trois corbeaux de passage viennent souffler aux oreilles qu’il est le fils de Dieu, n’est qu’un niais dont la momerie vous assomme et dont le ridicule contrarie à chaque instant le caractère imposant et superbe des situations. Entre ce héros burlesque et tout ce solennel symphonique, il n’y a pas de proportion, c’est trop de cérémonial pour un pareil sire. La seule figure sympathique reste donc Fidès; comme ces Pieta de Michel-Ange, qui pourraient servir de caryatides à l’entablement d’un édifice, la mère de Jean de Leyde porte tout l’opéra sur ses épaules. Au temps de Pauline Viardot, c’était ainsi. Je ne crois pas que Meyerbeer ait jamais pris mesure plus exacte, plus savante, d’une cantatrice; tout ce que cette organisation géniale avait de particulier, d’exceptionnel, fut merveilleusement utilisé; quant aux résultats obtenus, demandez-en le souvenir à ceux qui assistèrent aux premières représentations du Prophète, et n’ont pu oublier ni le relief sculptural imprimé à l’ensemble du rôle, ni l’expression partout juste et sincère du sentiment