Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/926

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’un nous montre le cardinal Mazarin jouant, par procuration, sa dernière partie de cartes au milieu du va-et-vient d’une camarilla déjà prête à s’émanciper du moribond, tandis que l’autre nous représente Richelieu remontant le Rhône et traînant à la remorque Cinq-Mars et De Thou, qu’il mène au bourreau : rien de plus coquet, de plus mignon que ces tableaux dont le motif tragique disparaît sous mille enjolivures d’un art foncièrement petit, que sa médiocrité condamne à ne jamais se sauver que par les détails. Pour nous en tenir au Richelieu, où trouver un vrai peintre qui n’eût cherché à concentrer tout l’intérêt dans les deux têtes du cardinal et de Cinq-Mars? Il y avait là un sujet, mais il fallait le faire, grave nécessité que les maîtres abordent joyeusement et que les hommes d’esprit se contentent de tourner en rusant. Le tableau à faire, la scène à faire, c’est justement ce qu’ils ne font jamais, épilogueurs subtils et malins, s’amusant et vous amusant à côté de leur sujet, n’y entrant point. Que me raconte du grand ministre ce visage flasque et bourgeois, cet œil sans pensée, sans éclair? Le cardinal de Richelieu, ce bonhomme emmitouflé dans une souquenille rouge, allons donc, c’est Géronte ramenant au logis son coquin de fils qui sort rançonné du tripot; Cinq-Mars a beau n’être qu’un dadais présomptueux, on ne se figure pas ce personnage allant à la mort sous les traits d’un commis de magasin déguisé en grand seigneur! Oui, mais considérez ces accessoires, ces chatoiemens d’étoffes, regardez ces costumes, cette mise en scène, est-ce assez galant, assez badin, comme toute cette rocaille vous tire l’œil et vous empêche de songer aux maîtres : peinture d’opéra comique, je n’y contredis pas; laissez faire, l’Opéra-Comique saura bien quelque jour reprendre ses droits, et, grâce à M. Gounod, ce jour a lui.

Ainsi qu’on devait s’y attendre, les amours du jeune d’Effiat et de la princesse Marie de Gonzague forment le nœud de l’intrigue; les auteurs ont eu soin de nous informer par note qu’ils avaient emprunté la partie historique de leur drame aux mémoires du temps. Je veux le croire, mais ce dont je leur sais plus de gré, c’est d’en avoir emprunté la couleur et le pathétique à Marion Delorme; leurs héros. Cinq-Mars, De Thou, sont des fantoches derrière lesquels j’entrevois Didier et Saverny, et je goûte un plaisir délicieux à me réciter les vers de Victor Hugo, avec accompagnement d’un orchestre, toujours écrit de main d’artiste. J’ignore quel sera le destin de cette partition que le public me paraît accueillir très froidement, mais dans l’œuvre si ondoyante et si diverse de M. Gounod, je ne connais rien de plus personnel. Il semble que ce talent ingénieux à l’excès, habile à toutes les adaptations, cet esprit travaillé de curiosités et de velléités sans nombre ait enfin marqué sa limite. Cette fois au moins son sujet ne dépassait pas sa puissance. Vous ne le sentez plus se débattre sous un dieu qui l’opprime et l’écrase de