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horloge parce que le cadran portait des chiffres romains, et d’autres ignorer de combien d’années se compose un siècle. En géographie, l’ignorance était la même : pour les femmes indigènes, il n’y avait en Europe que l’Espagne, les autres nations n’existaient pas. Heureusement que ce manque de savoir était racheté par beaucoup d’esprit naturel, et ce charme nonchalant qui ne fait jamais défaut aux créoles. Au point de vue de l’intelligence et de la séduction, les Espagnoles des Philippines n’ont rien à envier aux Françaises. Est-ce parce qu’il fait dans ces contrées beaucoup trop chaud pour étudier qu’on n’y remarque jamais une femme avec un livre à la main? Nous le croyons : la chaleur est ennemie de l’étude et des travaux intellectuels. Que pourrait-on lire d’ailleurs pour tenir l’esprit en éveil par une température moyenne de 32 degrés? A part les rares traductions des chefs-d’œuvre de nos meilleurs romanciers, il n’entre aux Philippines qu’une petite quantité d’ouvrages pouvant être lus avec intérêt par de jeunes femmes. Il faut qu’on sache aussi que les livres qu’on apporte d’Europe à Manille sont soumis, avant leur entrée, à la censure, et comme elle est dirigée par des moines et des fonctionnaires du gouvernement, ce qui déplaît est confisqué sans appel.

Ce fut encore un religieux, le père Loza, qui le premier, en 1596, ouvrit, à l’usage des jeunes filles dont les pères étaient morts au service de l’Espagne, une maison de refuge et d’instruction à laquelle il donna le nom de Santa-Potenciana. Il établit aussi avec les fonds des œuvres pies le collège de Sainte-Isabelle, où sont recueillies encore aujourd’hui les orphelines des Espagnols pauvres. Si les pensionnaires de ces maisons trouvent un mari, le trésor de l’institution leur alloue une dot de 500 piastres, soit 2,500 francs; dans le cas contraire, elles y restent jusqu’à leur mort, nourries, logées, habillées, recevant même 20 francs par mois comme argent de poche. En 1694, une indigène légua une forte somme aux jésuites pour fonder une sorte de couvent dans lequel ne seraient admises que les petites Indiennes pauvres. Les donataires se conformèrent à cette clause en créant aussitôt l’institution de Saint-Ignace-de-Loyola. Elle eut une époque brillante, — mais en ce moment la morale exige qu’elle soit, sinon supprimée, du moins soumise à une règle plus sévère. Peu d’années après cette fondation, les dominicains, qui la jalousaient, se mirent à fonder à leur tour une sorte de monastère de femmes auquel ils donnèrent le nom de Sainte-Catherine, patronne des vierges. Des femmes appartenant à des familles créoles y entrèrent pour le diriger; mais elles durent faire au préalable vœu de chasteté et s’engager à suivre la règle de saint Dominique, dont elles prirent l’habit. Malheureusement le provincial dominicain auquel avait été réservée la direction