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condamnés au dernier supplice que cette croyance est acceptée aveuglément; elle leur fait envisager la mort avec un calme stoïque, et jouir, en quelque sorte, par anticipation des béatitudes célestes. Un jour que devait être garrotté un chef de bandits nommé Baldomero, je me rendis avec un Anglais de mes amis sur la place où se dressait le poteau d’exécution. Ce Baldomero était depuis longtemps célèbre; il avait montré une grande bravoure dans différentes rencontres avec les soldats chargés de le capturer, et j’étais curieux de voir de quelle manière il se comporterait à l’heure suprême. J’ai hâte de dire que le trépas par la garrotte n’a rien de hideux comme la mort par la guillotine : la figure du patient est cachée aux regards, et on épargne aux spectateurs la vue du sang.

Une joyeuse fanfare de trompettes nous annonça l’approche du cortège, qui s’ouvrait par un brillant piquet de cavalerie en uniforme de gala ; à sa suite trois tambours qui battaient une marche lente sur laquelle une compagnie d’infanterie en grande tenue réglait son pas. Au centre venait le reo, c’est-à-dire Baldomero, beau garçon de vingt-cinq ans, la tête nue, les bras libres et le corps couvert d’un large domino blanc. Le condamné imitait avec affectation l’allure cadencée des soldats. Sa physionomie était calme, et ses yeux, qui cherchaient peut-être dans la foule un regard de femme, prenaient une expression de mépris lorsqu’ils tombaient sur des visages attristés. A droite et à gauche, deux prêtres indigènes l’exhortaient à voix haute à bien mourir, l’assurant que dans quelques secondes, sa faute expiée, il entrerait en paradis. En admettant qu’en raison de ses crimes nombreux il passât d’abord par le purgatoire, ces aides spirituels lui promettaient des messes pour le faire sortir au plus vite de ce lieu d’expiation. Ce n’était qu’une petite question de temps. Le brigand, qui avait passé la nuit en chapelle en compagnie des deux ecclésiastiques, et dont la conviction sur son salut infaillible était déjà faite, n’écoutait que d’une oreille les consolations qu’on lui prodiguait. Il était évident pour nous que le futur bienheureux était tout entier à la satisfaction de se voir l’objet de la curiosité générale. Le cortège était fermé par le bourreau, habillé de rouge de la tête aux pieds, sans en excepter le chapeau cylindrique; derrière lui suivaient une trentaine de frères de la Miséricorde, psalmodiant la prière des agonisans à l’ombre d’une sinistre bannière sur laquelle se détachaient en blanc des têtes de mort, des ossemens en sautoir et de grosses larmes Arrivé au pied de l’échafaud, Baldomero embrassa le crucifix qu’un prêtre lui présenta, puis se dirigea d’un pas ferme vers le petit banc sur lequel il lui fallait s’asseoir avant que la cravate de fer ne broyât sa nuque. Là, le condamné ayant remarqué des traces de boue sur la banquette, nous le vîmes les enlever avec son mouchoir,